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Auteur : Andy56 (AndreaParCoeur@hotmail.fr) 10/01/05
Genre : Général.
Time-Line : Post IOTH.
Disclaimers : Les personnages cités au cours de cette fanfiction ne m’appartiennent en aucun cas, je n’en retire aucun bénéfice, cette histoire étant écrite à but non lucratif.

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OldGenesis



Chapitre 1

Mon téléphone sonna, j’enfonçai la main droite dans ma poche, gardant l’autre sur le volant. Je portai le combiné à mon oreille, manquant d’écraser une pauvre vieille dame qui traversait juste en face de mon véhicule.

“Quoi ?!’’, m’exclamai-je, soupirant en reconnaissant le souffle effrayé de Broots.

“Euh… J’ai trouvé quelque chose Mlle Parker.’’, balbutia-t-il, imaginant sûrement déjà l’expression excédée de mon visage.

“Ca vous dérangerait d’être moins vague ?’’, demandai-je, m’arrêtant bien gentiment au feu rouge afin de me concentrer sur cette conversation qui s’annonçait des plus passionnantes.

“Ben, vous m’avez demandé de chercher toute trace d’un rapport comprenant le mot « insémination » ou « transgenèse » qui puisse avoir un rapport de près ou de loin avec vous et…’’, s’immobilisa-t-il, sentant ma réplique arriver sous peu.

“Je vais vraiment finir par croire que vous êtes un adepte du masochisme Broots, pourquoi faut-il toujours que vous donniez le bâton pour vous faire battre ?’’

“J’ai trouvé un dossier… Caché au niveau sous terrain 26.’’, murmura-t-il, de peur de se faire entendre avouer son terrible crime.

“Au bout de 3 semaines, je commençais à perdre espoir…’’, me dis-je si bas qu’il ne pu l’entendre.

“Il était planqué derrière une lance à incendie, dans un renfoncement du mur.’’, précisa-t-il ensuite, me laissant sans voix.

Quand mon père avait été forcé de disparaître, voilà près d’un an maintenant, c’était exactement au même endroit qu’il m’avait envoyée lui chercher une boîte. Je me rappelais encore cette enveloppe jaunie, ornée de l’inscription « Baby Parker ». Si seulement j’avais su où était passé cet enfant, il devait manifestement faire partie de l’un des nombreux projets morbides du Centre. Tout à coup, des tintements méconnaissables me sortirent de ma torpeur : le feu avait dû passer au vert depuis un moment.

“Mlle Parker ? Vous êtes toujours là ?’’, s’inquiéta mon informaticien à l’autre bout du fil.

Je raccrochai brusquement puis pressai allègrement l’accélérateur de façon à arriver le plus vite possible au Centre. Pour une fois qu’on avait du nouveau, je n’allais pas l’apprendre après tout le monde.

***


“Où est-il ?’’

“Qui donc ?’’, me demanda Sydney, plongé dans l’un de ses nombreux livres, plus efficaces que n’importe quel hypnotique.

“Broots évidemment ! Qui d’autre ?’’, m’emportai-je, cédant à l’impatience qui me torturait depuis que Broots m’avait contactée.

“Mlle Parker, n’oubliez pas votre ulcère…’’, me conseilla-t-il, ne prenant pas même la peine de lever les yeux de ce qu’il lisait avec un intérêt tel que je me surpris à en être effrayée. Il faut vraiment être un psy pour daigner apprécier de telles balivernes fondées sur tout, sauf des faits vérifiés scientifiquement ou ne serait-ce probables.

“Je lui dis que j’arrive et lui n’est même pas là. Je vous jure que je vais l’étriper un de ces jours, non mais c’est pas possible d’être aussi… aussi… Broots…’’, ruminai-je dans mon coin, trouvant une chaise pour enfin m’arrêter de tourner en rond comme un lion en cage. “Ca fait trois semaines que Jarod m’a passé ce coup de fil et qu’il m’a laissée en plan avec une phrase sans queue ni tête… « La genèse est ce qui donne un sens à ton destin ». Non mais il n’y a que lui pour sortir des contre-sens dans le genre. Quoique, vous pourriez très bien faire partie de la liste Syd. ’’ le complimentai-je avec sarcasme.

“Parker, vous savez pertinemment que je suis déjà au courant de toute l’histoire, pourquoi me la répéter sans cesse ?’’, fit-il soudainement d’une voix presque lasse, avant de déposer son ouvrage sur la table pour mieux me fixer.

“Je ne sais pas moi, peut-être parce vous êtes psy et que j’attends une réponse de votre part.’’, lui dis-je, arborant une moue boudeuse, enfantine à souhait, qui ne m’allait pas du tout à en voir la mine quelque peu irritée qu’il me renvoya.

“Je pense déjà avoir suffisamment contribué à l’avancement des recherches qu’effectue Broots en vous conduisant sur la voie de la transgenèse, ne le pensez-vous pas ?’’, me questionna-t-il, adoptant cet ineffaçable demi sourire qui me met toujours hors de moi.

“Mouais…’’

Un bruit attira mon attention, il provenait du couloir. Je reconnus le pas pressé et irrégulier de Broots, percevant presque l’agréable odeur de sueur qui émanait de la chemise qu’il portait depuis 3 jours. Quand il entra, je ne pu m’empêcher un rictus triomphal, il fallait vraiment que je l’emmène faire les boutiques un de ces quatre afin qu’il se refasse une garde robe complète. Pitoyable, ce type était pitoyable…

“C’est pas trop tôt, c’est l’effet de suspense que vous vouliez préserver ? Non parce que je peux vous tuer tout de suite si vous voulez !’’, lui lançai-je quand il prit place entre moi et Sydney, posant un mince dossier sur la table.

“Oh bah allez-y tout de suite, ce n’est pas de refus.’’, bafouilla-t-il, jetant un rapide coup d’œil autour de lui.

“Puis-je connaître la raison de cet énième retard ?’’, m’enquis-je, l’index pressé sous son menton pour l’obliger à tourner la tête vers moi.

“J’ai dû effectuer quelques recherches complémentaires sur Internet.’’, se justifia-il en me présentant une feuille de papier que je me mis à lire à haut voix pour en faire profiter Sydney.

“Rapport du sujet 8888, au jour du 2 Avril 1959. Après 243 essais, l’opération entreprise d’extraction des cellules germinales a fonctionné. Les cellules somatiques servant à la transplantation nucléaire ont été prélevées en une seule fois sur le sujet 2882. Les cellules haploïdes 8228 ont été remplacées avec succès par les cellules somatiques diploïdes 2882. L’insémination fut ensuite une autre réussite. Totipotence évaluée à 35%.’’

Quand j’eu terminé la lecture, l’un de mes sourcils resta imperturbablement haussé, démontrant ma totale incompréhension. Je ne tardai donc pas à leur faire part de mes pensées.

“Broots, soyez aimable de traduire ce charabia.’’

“Vous comprenez maintenant pourquoi j’ai dû approfondir mes recherches, je voulais être capable de vous faire un rapide compte rendu un peu plus précis.’’, nous fit-il remarquer en récupérant la feuille.

“Merci Broots.’’, dis-je afin d’abréger enfin mes souffrances.

“Bon alors à ce que j’ai cru comprendre, il existe deux sortes de cellules. Les cellules somatiques, comportant 46 chromosomes, et les cellules germinales, qui en comportent elles seulement 23. Ce sont celles qui sont soit mâles soit femelles et qui permettent la création d’embryons. Bref, des noyaux de cellules somatiques ont été prélevés sur un sujet X pour être transplantés à des cellules germinales appartenant au sujet Y. Dans le but de recréer à partir des cellules Y, les mêmes cellules que celles du sujet X. Ensuite, on a réinséminé le sujet X avec une cellule transplantée de Y.’’, nous expliqua-t-il avec une verve déconcertante.

“Bon, ça s’éclaircie, mais que nous apprend le document ? Et c’est quoi cette histoire de titopotence ?’’, lui demandai-je, encore dans le trouble.

“To-ti-po-tence.’’, me reprit-il avec une insolence que je lui aurais signifiée rapidement en d’autres circonstances. “En clair, on a prélevé des cellules à une femme pour les cloner et ensuite la réinséminer avec. La totipotence est évaluée à 35%, c'est-à-dire que cette femme avait environ une chance sur trois de mener sa grossesse à terme.’’, simplifia-t-il alors que Sydney relisait le rapport et que je restais bouche bée.

“Vous voulez dire que le Centre n’a pas créé les premiers clones en 1985 comme on le pensait avec J2 mais en 1959 ?’’, l’interrogeai-je avec incrédulité.

“Il faut croire, j’ai trouvé quelques renseignements complémentaires. Le Professeur Derevko, d’origine russe, est celui qui a réussi cet exploit.’’, ajouta-t-il en parcourant quelques lignes.

“Ce gâchis vous voulez dire.’’, rectifiai-je avec dégoût, les mains soutenant mon front.

“Il s’est suicidé 1 ans après le succès total de l’expérience et il aurait pris soin de brûler la moindre feuille de papier qu’il avait utilisée pour faire son travail, allant même jusqu’à faire disparaître toute trace de son expérience.’’, nous informa-t-il encore.

“Ouais, il n’a pas supporté les conséquences machiavéliques de ses actes et ce que le Centre avait l’intention d’en faire. Je comprends mieux maintenant pourquoi le Centre a eu besoin de refaire des centaines d’essais pour obtenir J2, ils ont dû tout recommencer depuis le début.’’, dis-je en me massant les tempes, sentant la migraine se profiler.

“Est-ce que vous avez remarqué la date indiquée sur ce rapport ?’’, nous questionna Sydney d’un ton lourd de sous entendus.

“Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?’’, fis-je en m’inquiétant, je savais bien que quand il prenait cet air, ça ne disait rien qui vaille.

“Voyez vous-même.’’, me proposa-t-il en me tendant l’objet de mon intérêt.

“2 Avril 1959.’’, récitai-je comme mécaniquement, comprenant instantanément à quoi Sydney faisait allusion.

“Oh, mais vous êtes née pile 9 mois plus 1 jour après Mlle Parker.’’, souligna Broots avant de baisser les yeux, mon regard assassin n’y étant pas pour rien.

Ma main vint alors se poser sur ma bouche, comme retenant un murmure. Je dissimulais plutôt combien j’étais bouleversée, une foule de questions ne tarda pas à tarauder mon esprit. Et pour couronner le tout, Sydney me fixait avec insistance, tentant une fois encore de « décrypter » mon comportement. Je plissai les paupières pour lui montrer que j’avais remarqué son manège et qu’il était souhaitable qu’il arrête immédiatement s’il ne voulait pas se prendre ma main en pleine figure. Il dû comprendre que je ne plaisantais pas car il cessa pour se tourner vers Broots, attendant de plus amples informations à ce sujet.

“Euh, je vais travailler sur ce point tout de suite.’’, bredouilla-t-il en se levant, n’oubliant pas de récupérer tous ses documents.

“Essayez de me trouver un échantillon d’ADN de ma mère, et… Je vous en donnerai un du mien pour les comparer, s’ils sont identiques on saura à quoi s’en tenir.’’, affirmai-je à contre cœur, souhaitant de toutes mes forces que cette date ne soit qu’un pur hasard.

Je souris, j’avais moi-même dit un jour qu’au Centre, le mot « coïncidence » ne faisait pas partie du vocabulaire alors comment pouvais-je espérer une telle chose ? Je soupirai longuement, le regard dans le vague. Sydney posa sa main sur la mienne.

“Vous croyez que je suis un clone ? Vous pensez que c’est possible ?’’, le questionnai-je avec fébrilité.

Je ne parvenais pas encore à réaliser tout ce qu’emportait cette –possible- découverte. Je ne pourrais même certainement jamais tout comprendre, tout savoir… Pourquoi fallait-il toujours que tout soit si tordu, si complexe ? Je tournai la tête vers Sydney, une larme roulant sur ma joue. Je le vis se pincer la lèvre inférieure, c’était la première fois que je le voyais si dubitatif et perdu.

“Et bien…’’, commença-t-il avec hésitation, cherchant les mots qui allaient suivre. “Vous savez, avec le Centre il faut s’attendre à tout, ils sont à la pointe de la technologie depuis des années alors… Il n’est pas impossible que…’’ s’interrompit-il, tout aussi troublé que moi.

“Qu’ils aient osé cloner ma propre mère et la réinséminer ensuite… Quels monstres…’’, murmurai-je en posant ma seconde main par-dessus la sienne pour l’encadrer.

Ma tête tomba sur son épaule et il passa son bras dans mon dos, le frottant avec tendresse. Il savait bien qu’il ne pourrait rien faire pour me réconforter, à part être là, tout comme le jour de l’enterrement de maman. Il était toujours présent pour moi et je savais que je comptais pour lui tout autant qu’il comptait pour moi. Savoir que Raines était mon père, que ma mère n’était peut-être pas vraiment ma mère… Tout ça me porta à croire que Sydney était bien plus une famille, un père pour moi, que n’importe quel autre homme dans ma vie.

“Vous découvrirez la vérité, je vous y aiderai, vous pouvez compter sur moi.’’, m’assura-t-il avec douceur.

“Merci Sydney… Merci pour tout…’’, sanglotai-je presque en me défaisant se son étreinte pour me mettre debout. “Je vais rentrer, à demain.’’, l’avisai-je en me retournant, croisant les bras sur ma poitrine pour essayer de contrer ce froid qui s’insinuait irrémédiablement en moi depuis cette annonce terrifiante.

“Voulez-vous que je vous reconduise ?’’, me suggéra-t-il avec sollicitude. “Vous ne devriez peut-être pas rester seule ce soir.’’, me recommanda-t-il avec bienveillance.

“Ca ira.’’, certifiai-je avec doute avant de m’éloigner rapidement.

***

A peine avais-je fermé la porte que je m’écroulai au sol, le chagrin me submergeant. J’étais parvenue jusqu’à chez moi sans céder mais ici, protégée, dissimulée, je pouvais enfin me laisser aller. Mes clés s’échouèrent sur le sol, je ramenai mes genoux contre moi et les entourai de mes bras pour y cacher mon visage. Je restai dans cette position pendant des heures, n’ayant aucune notion du temps, ni de l’endroit où je me trouvais réellement.

J’avais la douloureuse sensation d’être vide, comme si je n’étais qu’une étrangère dans ce corps. Ce physique, ce regard, tout ça ne m’appartenait pas, je n’étais rien, rien du tout à part une pâle copie. Tout ça ce n’était que du vent, une simple enveloppe corporelle recouvrant le cœur d’une autre personne que le mien. Et moi qui me plaignais d’une existence que je ne possédais même pas. Cette histoire, mon histoire, était si pathétique.

Je finis par me ressaisir, me convaincant que cette réaction ne me mènerait à rien et qu’elle n’était pas digne d’une Parker. J’essuyai mes pleurs puis me levai pour ôter mon manteau. Quand je me retournai, ce fut pour tomber nez à nez avec Jarod, tout de noir vêtu.

“Jarod ?’’, bredouillai-je, à la fois surprise et mal à l’aise à cause de sa présence, car cela fait au moins deux mois que l’on ne s’était pas parlé face à face.

Il n’avait pas beaucoup changé depuis qu’il s’était sauvé du cockpit de l’avion, sur le tarmac d’un aéroport marocain. Sa coupe de cheveux était bien le seul détail qui différait, bien plus courte, plus élégante aurais-je dit.

“Je vois que tu as découvert qui tu es, je suis désolé Parker.’’, prétendit le petit génie, m’adressant son éternel regard de chien battu.

“Tu es désolé ?! Ce n’est pas toi qui m’a pourtant demandé ce qui adviendrait de nous quand on aurait nos réponses ? Tu savais combien cette découverte me bouleverserait et tu me l’as apprise comme ça…’’, lui reprochai-je en détournant les yeux, ne voulant pas qu’il voie que j’avais pleuré.

“Parce que tu crois que ça a été facile de prendre la décision de te révéler ta vraie identité ? Je ne pouvais pas un jour débarquer chez toi et te dire « salut Parker, au fait, tu savais que tu étais le clone de ta mère ? ». Ca m’étonnerais que tu m’aies accueilli les bras ouverts et que tu aies supporté une nouvelle aussi perturbante avec autant de force et de courage que tu le fais actuellement.’’, constata-t-il sans remarquer l’état dans lequel je me trouvais réellement.

“Ouais, c’est ça, dédouane-toi de toute responsabilité comme tu sais si bien le faire !’’, le blâmai-je avec dédain alors que lui baissait les yeux tel un enfant se sentant coupable.

“Je sais que tu ne penses pas ce que tu dis.’’, commença-t-il avec difficulté. “Mais avoue que je suis la seule personne qui t’aie toujours dit la vérité, en toutes circonstances. Je me devais donc de t’apprendre cette découverte.’’, affirma-t-il, admirant la photo de ma mère reposant sur la cheminée.

“Et depuis quand…’’, balbutiai-je, la voix tremblante, sans parvenir à terminer ma phrase.

“Je te l’ai dit, je t’ai toujours dit la vérité sur ce que je connaissais de tes origines.’’, répéta-t-il, ne saisissant pas la question.

“Non, depuis quand est-ce que tu sais pour ça, pour mon… Clonage ?’’, réussis-je enfin à dire, bien que ce mot me donnait la chair de poule.

“Et bien… En fait…’’, bafouilla-t-il en cherchant ses mots, visiblement gêné de devoir me dire ce qu’il en était vraiment. “Ecoute, je sais que tu vas vouloir m’étrangler, mais sache que je voulais d’abord être certain qu’aucune erreur était possible et… Mener une enquête approfondie.’’, me prévint-il timidement, comme effrayé par la probable vive réaction que j’allais avoir.

“Jarod, si tu essaies de faire de la concurrence à Broots en matière de réponses évasives… Tu as gagné le premier prix. Dis-le, de toute manière, je ne suis pas assez en forme pour me battre aujourd’hui.’’, le rassurai-je en m’asseyant face à lui, sur le sofa, m’accoudant sur la table basse pour soutenir ma tête qui me paraissait peser une tonne.

“Je le sais depuis environ 6 ans.’’, m’apprit-il subitement, plissant le front d’appréhension.

Cette nouvelle m’abattit complètement, je n’eus même pas la force d’objecter quoi que ce soit. Je gardai donc le silence, la bouche entre ouverte, totalement accablée par cette révélation qui remettait tant de choses en question. Tout se mélangea dans ma tête, j’étais incapable de réfléchir ou d’aligner plus d’une pensée à la fois. C’était comme si tout le petit monde que j’avais créé autour de moi s’était effondré d’un coup, balayé par une violente bourrasque. Seuls quelques débris persistaient, flottant dans mon esprit, me donnant une migraine de tous les diables. Un verre, il me fallait un verre. A chaque fois que je me retrouvais dans la même pièce que lui, il me faisait part de découvertes incroyables et j’en revenais toujours à me liquider une bouteille de whisky entière à la fin de la journée.

“Est-ce que ça va aller ?’’, me questionna-t-il d’un air préoccupé en prenant place à coté de moi pour essayer de me percer à jour.

A peine s’était-il installé que je m’écartai de lui comme fuyant la peste, pour me jeter vers mon bar. Mais où était donc passée cette bouteille de Scotch ? Je décalai quelques vestiges de mes précédentes soirée arrosées pour enfin trouver l’objet de mon intérêt. Elle était à moitié vide, tant pis, peut-être que ça m’éviterait de me lever avec une tête de tous les diables le lendemain matin. Quand je me relevai, buvant directement au goulot –ce qui était loin d’être élégant, je le concédais bien volontiers, mais tellement nécessaire- j’aperçus le regard inquiet, mais néanmoins réprobateur, de Jarod sur moi.

Ca allait déjà mieux, quoique, il valait mieux que j’arrête de penser à tout ça ou je risquais de me tirer une balle plus vite que mon ombre. Je reposai la bouteille et me postai juste devant Jarod, le détaillant longuement, restant débout pour garder un semblant supériorité. Un poing sur la hanche, l’autre main appliquée sur ma nuque douloureuse, je restais toujours muette. Mais je parvins enfin à rassembler mes forces, je devais en savoir plus, c’est tout aussi vital pour moi que l’oxygène l’était pour Raines.

“Le jour où tu m’as offert ce tableau me représentant enfant, une larme dévalant ma joue, quand tu m’as dit que tu connaissais la vérité, la vérité sur ce qui me rendait triste. Tu… Tu faisais allusion à ça ?’’, demandais-je d’une voix emplie de trémolos avant qu’il ne soupire misérablement, avouant sa faute.

“6 ans Jarod !!! 6 ANS !!! Et toi qui viens me voir la gueule enfarinée avec tes « fais-moi confiance, je t’ai toujours dit la vérité », toi qui, il n’y a pas si longtemps, critiquait mon p… Mr Parker en disant qu’il me mentait sans cesse, en fait, tu ne vaux pas mieux que lui ! Tu ne vaux pas mieux que tous ces monstres avec qui je suis forcée de vivre ! VAS T’EN !!!’’, lui ordonnai-je, hors de moi, n’ayant ni le courage, ni l’envie de le capturer maintenant, ce n’était pas le moment.

“Parker…’’, tenta-t-il de me dissuader pour ensuite pouvoir mieux m’amadouer.

“TIRE-TOI JE T’AI DIT !!!!’’, hurlai-je pour mieux lui faire comprendre que je ne voulais plus lui adresser la parole, pour le moment en tout cas, et lui indiquant la sortie.

“Je te laisse mon numéro de portable, si tu veux en savoir plus…’’, murmura-t-il en laissant un rectangle de papier sur la table.

Il passa devant moi en baissant le regard tandis que moi je le fixais hargneusement, ne le quittant pas des yeux jusqu’à ce qu’il ouvre la porte d’entrée. Il s’arrêta un instant, j’eus peur qu’il ne se retourne mais ce ne fut pas le cas, il disparut sous la bruine tardive qui s’abattait sur la ville. Je laissai tomber mes bras le long du corps, hébétée et esseulée. Que faire ? Comment êtes-vous supposé réagir quand on vous apprend que vous êtes un clone et que l’une des personnes qui vous sont les plus proches vous avoue qu’elle était au courant depuis des années ? Je n’avais pas la réponse à cette question, comme à tant d’autres d’ailleurs.

***

Je scrutais le plafond, allongée dans mon lit, les mains liée sur mon ventre. Je venais de regarder l’heure sur mon réveil : 3h17. Je ne parvenais pas à trouver le sommeil, bien trop perturbée par les évènement qui venait de troubler ma vie, une fois de plus. Je n’arrêtais pas de me tourner et de me retourner, m’énervant de ne pas trouver une position agréable. Je devais l’appeler, je mourrais d’envie d’en savoir plus.

“Jarod ?’’, fis-je une foi que la tonalité s’était arrêtée.

“Parker…’’, répondit-il d’une voix étouffée.

“Dis le moi, dis-moi comment tu as découvert que ma mère avait été clonée.’’, le priai-je, retrouvant un tant soit peu de détermination et de courage pour affronter mon passé.

“Un DSA.’’, m’annonça-t-il le plus simplement du monde, comme s’il lui avait suffit d’allumer son poste.

“Un DSA ?’’, répétai-je, me souvenant alors d’une conversation avec Raines au cours de laquelle il avait évoqué le fait que ma mère en avait enregistrée un, révélant de nombreux secrets sur le Centre et aussi, son projet.

“Je me suis rappelé ce qu’elle m’avait dit quand Raines m’avait emmené chez lui pour la voir. Elle m’avait donné une adresse, sans me préciser ce que j’y trouverais. Elle savait que j’arriverais à m’échapper du Centre, par ses voix sûrement.’’, ajouta-t-il, comme s’il lisait dans mes pensées.

“Et c’est là que tu as trouvé le DSA.’’, déduis-je, ne manquant pas le moindre de ses mots.

“Dans l’un de ses coffres oui, elle y avait aussi laissé son journal intime dans lequel elle indiquait les adresses des 3 autres.’’, m’expliqua-t-il, étonnement coopératif.

“Son journal intime ? Tu t’es permis de le lire et de ne jamais me le mentionner ?’’, m’indignai-je en réalisant peu à peu tout ce qu’il me disait.

Je m’étais recroquevillée sous les draps, plongée dans l’obscurité et pendue aux lèvres de Jarod. Je m’abreuvais littéralement de ses paroles, apprenant tant de choses sur moi, ma famille et mon passé, plus que je ne l’aurais jamais imaginé. Il n’avait rien répondu, reconnaissant sa culpabilité. Je n’arrivais pas à lui en vouloir, aussi étrange que ça pouvait l’être, de sa part, ça ne me blessait pas tant que ça qu’il garde tous ces secrets d’alcôve rien que pour lui. J’en aurais certainement fait de même si j’avais été à sa place.

“3 coffres pour un seule femme, c’est beaucoup.’’, reconnus-je, essayant de délier la situation.

“C’est vrai. Parker, je te dois des excuses.’’, admit-il nerveusement.

“Tu ne me dois rien Jarod.’’, me surpris-je à répondre. “Je… J’aurais aussi eu beaucoup de mal si j’avais dû t’apprendre que tu étais le clone de ta mère.’’, lui affirmai-je avec plus d’assurance et de douceur que je n’en aurais jamais eu en d’autres circonstances, je perçus d’ailleurs son soulagement à travers le combiné.

“Merci Parker. Je ne suis plus très loin de retrouver ma mère, j’ai l’impression que je me rapproche d’elle.’’, me confia-t-il, se sentant de nouveau assez à l’aise pour me transmettre quelques informations nouvelles.

“Oh, c’est vrai ? J’espère que tu la retrouveras.’’, l’encourageai-je avec moins d’entrain que je ne le devrais, mais il me connaissait, je n’étais pas du genre à exprimer mes désir aussi ouvertement.

“Moi aussi.’’, fut sa dernière réplique avant de raccrocher.

Je gardai le combiné un instant contre mon oreille, attendant la tonalité pour être sûre qu’il n’était plus au bout du fil. Comme si j’espérais qu’il m’en dise plus, comme si je voulais encore entendre sa voix. Je reposai mon portable sur la table de nuit, tirai le drap jusqu’à mon menton et fermai les yeux. Je suis peut-être un clone, mais je suis toujours un être humain, j’ai tout autant le droit de vivre que n’importe qui et c’est bien ce que je compte faire. C’est décidé, je vais me battre et je découvrirai la vérité, je découvrirai toutes mes origines, tous les complots qui dirigent le monde dans lequel je vis. Tout, un jour, je saurai tout.

***

“Broots ?’’, hélai-je en mettant les pieds dans son antre.

“Ou… Oui Mlle Parker ?’’, répondit-il en me dévisageant avec intérêt.

“Arrêtez de me regarder comme ça, je suis peut-être un clone mais un être humain avant tout.’’, me défendis-je alors qu’il se réfugiait sur son ordinateur. “Je me demandais, comment avez-vous trouvé le rapport sur l’insémination de ma mère ?’’, le questionnai-je d’un air suspicieux.

“Ben… C’est Angelo, il a débarqué dans mon bureau en criant « incendie » alors après quelques recherches, je l’ai trouvé derrière la lance à incendie.’’, m’exposa-t-il en rentrant sa tête dans ses épaules.

“Donc je me suis trompée quand je vous ai remercié, je vois que vous êtes comme les autres Broots, on ne peut pas non plus vous faire confiance.’’, le critiquai-je avec délectation, mes remarques avaient le don de toujours le faire devenir plus rouge que ses chemises écarlates dignes de années 70. “Bon, venons-en aux choses sérieuses, faites tout ce que vous pouvez pour me retrouver Margaret, la mère de Jarod.’’, lui commandai-je avant de quitter son bureau pour rejoindre Sydney.

Je n’eut pas besoin de m’éloigner de beaucoup car ce cher psychologue venait justement dans notre direction. Il m’adressa un signe de la tête pour me saluer et en un regard, je lui fit comprendre que j’allais bien. Du moins, aussi bien que je pouvais aller après cette terrible journée.

“Mlle Parker, pourquoi voulez-vous retrouver la mère de Jarod ?’’, voulut savoir Broots.

“Vous faites des recherches sur Margaret ?’’, s’enquit immédiatement Sydney.

“Je ne sais pas vraiment.’’, mentis-je. “Elle connaissait ma m…’’, je m’interrompis, ne sachant pas vraiment comment je devais appeler cette femme que j’avais pris pour ma mère, car même si je provenais de ses cellules, ce n’était pas de ses gamètes alors… “Ma mère et elle se connaissaient alors peut-être qu’elle en sait un peu plus sur toute mon histoire.’’, espérai-je, m’asseyant sur une chaise.

Son visage me hantait, j’avais tissé des liens tellement forts avec elle et j’apprenais qu’elle n’était pas vraiment ma mère. Et était-elle seulement au courant ? Raines avait bien profité d’une opération bénigne pour l’inséminer du sperme du Major Charles. Il n’était donc pas farfelu d’imaginer qu’il aie déjà expérimenté cette technique plusieurs années auparavant. Toujours était-il que jamais je n’aurais pu appeler ma mère autrement que « maman », c’était ainsi que je la considérais et que je la considèrerai à jamais. Je tournai les yeux pour observer Sydney, plongé dans ses pensées.

“C’est possible, nous ne connaissons pas la nature des relations qui les unissaient, peut-être étaient-elles des confidentes l’une pour l’autre.’’, conjectura-t-il, allant dans mon sens.

“J’ai des rapports à terminer, appelez-moi si vous obtenez quoi que ce soit.’’, avisai-je à Broots en m’éclipsant par la porte automatique.

***

Chapitre 2

Je pressai la petite télécommande attachée à mon porte clé pour enclencher l’alarme de ma voiture. Le froid s’était emparé de moi aussitôt que j’avais ouvert ma portière et je m’aperçus que c’était dans ces moments-là que j’étais bien content de pouvoir me sauver dans les 4 coins du pays aussi librement qu’un oiseau émigre. Une nouvelle vague de frissons tiraillait ma colonne vertébrale, mais celle-ci n’était pas due à la tempête qui se déchaînait depuis quelques heures à Blue Cove, c’était autre chose.

Depuis que Parker m’avait contacté une heure auparavant, je tremblais de tous mes membres. Que pouvait-elle bien avoir à m’annoncer qu’elle ne préférait pas dire au téléphone ? Je m’attendais au pire, après tout, j’avais bien bouleversé sa vie avec une simple phrase, peut-être n’était-ce là qu’une vile vengeance de sa part. Non, elle était capable des coups les plus mesquins mais jamais elle ne voudrait me faire du mal simplement pour prendre sa revanche. D’ailleurs, je n’étais pas le vrai fautif dans cette histoire, à par la préserver un peu trop longtemps, je n’avais rien fait de très répréhensible, ce n’était tout de même moi qui avait cloné les cellules de sa mère pour la créer.

Quand j’y pense, ça a dû être un réel coup dur pour elle. Je me dis souvent que je n’ai jamais eu de famille, ni la chance de la connaître vraiment, mais elle, elle a vu les siens disparaître sous ses yeux, les uns après les autres. Moi, j’ai toujours l’espoir de pouvoir les retrouver un jour alors qu’elle se retrouve peu à peu abandonnée à un nouveau père, un nouveau frère, qui eux, ne veulent que sa mort. Dans ces circonstances, difficile de ne pas se sentir mieux à la place où l’on est. Je peux aisément comprendre qu’elle en aie assez de tout ça, quand on perd l’espoir, c’est un peu comme si on se refusait à vivre plus longtemps. Alors à quoi bon aller plus loin ? A quoi bon continuer à tracer sa route, sachant pertinemment qu’elle ne mènera à rien ? C’était ce que je me disais durant les pires moments de solitude que j’avais passés au Centre, quand Parker faisait ses études loin de moi et que plus personne ne se souciait de ma personne.

C’était donc la raison pour laquelle j’étais toujours là aujourd’hui, celle qui me poussait à l’aider, à la seconder à travers les abîmes du Centre, c’était celle-ci. L’unique souhait qui guidait mes pas était celui de lui rendre le quotidien plus facile à supporter, de lui montrer ma présence afin que jamais l’idée de quitter cette Terre ne l’effleure. Bien sûr, ce que je devais parfois lui annoncer me déchirait le cœur mais il fallait que quelqu’un lui apprenne ses origines et lui fasse découvrir le nid de vipère dans lequel elle vit. Et cette personne, je me devais de l’être, comme elle avait été cette petite flamme dans ma vie il y a des années, m’indiquant peu à peu la direction à emprunter pour m’échapper de cet enfer qu’est le Centre.

Tout ce cheminement de pensées m’avait accompagné jusqu’au seuil de la sublime villa en pierre qui servait de refuge à Parker. J’inspirait longuement, tentant de retrouver un tant soit peu de contenance pour affronter Parker et la nouvelle qu’elle devait me révéler. Je frappai trois petits coups secs et il ne se passa que quelques secondes avant que la porte ne s’ouvre, laissant apparaître Parker. La première réflexion qui me vint à l’esprit se rapportait aux cernes qui creusaient son regard anciennement azur mais désormais terne et vitreux. Elle semblait totalement exténuée, au bout du rouleau.

“Tu voulais me parler ?’’, fut la seule phrase que je trouvai à dire pour engager la conversation.

“Entre.’’, m’invita-t-elle en me laissant un passage.

Elle avait une voix fragile, presque inaudible, ce qui montrait combien ces deux jours avaient été dur pour elle. Plus ça allait, mieux elle réalisait ce que signifiait le mot « clonage », dans ses moindres sens. D’un signe de tête, elle me proposa de m’asseoir, je l’écoutai puis elle fit de même après avoir être allée chercher une enveloppe. Sans un mot, elle me la tendit, suivant tous mes gestes du regard. J’avais même eu l’impression qu’elle me surveillait, guettant mes réaction. Son comportement scrutateur ne faisait qu’amplifier l’angoisse qui me serrait la gorge et aiguisait ma curiosité.

“J’ai demandé à Broots de te donner un petit coup de pouce.’’, m’apprit-elle en entourant de ses bras le coussin qu’elle venait d’attraper alors que je lisais une adresse sur un petit morceau de papier froissé.

“Hum…’’ acquiesçai-je, sans vraiment savoir de quoi il retournait, jusqu’à ce que j’observe la photographie qui représentait ma mère.

“Je ne pensais pas qu’il serait aussi efficace.’’, admit-elle tranquillement, ne remarquant pas la tornade qu’elle venait de déclencher en moi.

Ce simple morceau de papier représentait tant de choses pour moi, c’était incroyable qu’elle l’aie retrouvée pour moi. Je n’arrêtais pas de relire cette adresse, une fois, deux fois, dix fois… En une seconde je la connus par cœur, elle était comme gravée dans ma mémoire. Parker avait retrouvé ma mère, elle avait fait ça pour moi, je n’arrivais vraiment pas à le croire.

“Oh, Parker, je ne sais pas quoi te dire…’’, balbutiai-je, complètement déstabilisé.

Elle esquissa un mince sourire pendant un millième de seconde. Il avait été presque imperceptible mais il ne m’était pas passé inaperçu. Jamais un seul de ses sourires, aussi rares soient-ils, ne parvenait à m’échapper.
Je tenais toujours la petite feuille qui tremblait entre mes doigts, je n’osais plus les desserrer de peur qu’un coup de vent inopiné ne me la retire définitivement.

“Ca n’a pas été bien difficile pour Broots, il est au Centre et a accès aux moindres informations.’’, m’expliqua Parker, exerçant une forte étreinte sur le coussin qu’elle tenait toujours. “Enfin, dès qu’il trouve les mots de passe adéquat.’’, précisa-t-elle. “Ensuite, il n’a plus qu’à mener sa petite enquête en piratant quelques sites Internet, et le tour est joué.’’

J’hochai doucement de la tête, j’avais une furieuse envie de me jeter (non pas sur Parker, vous avez pas honte ? loool) sur la porte, de monter dans la voiture et de foncer tout droit jusqu’au 24 Amsterdam Avenue à New York. Mon regard se posa alors de nouveau sur Parker, je voyais qu’elle ne savait pas quoi me dire ou quoi faire alors je me levai. Elle m’imita instantanément, son visage arrivant juste à la hauteur du mien. Son parfum m’avait envahi à la seconde où j’avais passé la porte. Nos yeux se rencontrèrent et je compris qu’elle me donnait la permission de me sauver, une fois encore.

Cinq ans qu’elle me poursuivait et en deux jours, elle me laissait deux fois l’occasion de filer. Les choses avaient décidément beaucoup changé depuis notre petite excursion sur Carthis. Je passai entre elle et la table basse, m’approchant tout près d’elle j’en profitai pour caresser sa joue. Mais à peine avais-je posé ma mains sur sa douce peau de pêche, qu’elle l’écarta d’un geste brusque et agacé. Après tout, les choses n’étaient peut-être pas si différentes. Je soupirai discrètement, très légèrement déçu, puis je m’échappai rapidement.

***

Deux heures que je roulais sans ralentir, les mains crispées sur le volant. La nuit commençait peu à peu à tomber, accompagnée par une pluie battante. A priori, la tempête qui sévissait sur la côte était très étendue car je n’étais plus très loin de New York et les nuages semblaient toujours aussi chargés.

Malgré le froid qui régnait, je sentais la sueur perler sur mon front et mes mains devenaient de plus en plus moites. Mon cœur s’accélérait, tel un chronomètre décomptant les minutes qui me séparaient encore de ma mère. Ma mère… C’était étrange de se dire qu’après cinq ans, j’allais enfin la revoir mais que cette fois, je pourrais la prendre dans mes bras. Tout ce temps passé à la rechercher, à lancer des appels, à espérer, tout ça pour qu’en une petite journée, un simple informaticien accro à l’ordinateur me dégote cette si précieuse adresse. Bon, d’accord, Broots n’était pas si ordinaire que ça, il parvenait à faire des miracles avec un clavier et son cerveau bouillant là où un génie échoue. Peut-être aurais-je dû arrêter de penser à ça, je me faisais un mal bien inutile.

Vingt, vingt-deux, vingt-quatre, c’est donc ici. Une jolie maison cossue, les rideaux de dentelle ornant les fenêtres. Un chemin d’ardoises trempées par la pluie menaient à la porte en bois devant laquelle je m’arrêtai. Le moment le plus difficile était arrivé, celui où tout prenait enfin un sens, celui qui me permettrait enfin de donner un réel sens à ma vie et de répondre à bon nombre de questions restée jusqu’ici sans réponse. Aller, je ne pouvais m’éterniser sur ce perron, attendant qu’elle daigne sortir faire ses courses ou autre chose. Ca faisait tout de même deux fois que je me retrouvais dans cette situation en l’espace d’une après midi. De nouveau, je frappai trois petits coups secs et entendit ensuite une personne s’approcher.

“Qui est-ce ?’’, fit une voix hésitante à l’intérieur.

Que devais-je dire ? Maman c’est moi, ouvre s’il te plaît, ça fait trente ans que je te recherche. Mais bien sûr, je ne connais rien de plus radical pour faire succomber une personne d’une crise cardiaque. Je m’éclaircis la gorge, serrant les dents à m’en exploser la mâchoire.

“Je souhaiterais parler à Margaret s’il vous plaît.’’, demandai-je en dissimulant du mieux possible l’état d’extrême excitation dans lequel je me trouvais.

La poignée tourna, laissant apparaître une vieille femme sans aucun rapport avec ma mère. Mon souffle se coupa net, mon regard se posant ses yeux bleus et ses cheveux grisonnant. Mais qui était-ce ?

“Oh, je suis navrée jeune homme, je ne suis que la voisine, je veille sur la maison de Margaret durant son absence. J’étais justement en train d’arroser ses plantes.’’, m’expliqua-t-elle, adoptant une voix douce et accueillante. “Puis-je faire quelque chose pour vous ? Lui faire la commission par exemple ?’’, me questionna-t-elle très gentiment.

“Et bien…’’, commençai-je, tellement déçu.

“Seigneur !! Vous êtes Jarod ? Vous êtes le fils de Margaret ?’’, s’exclama-t-elle brusquement et avant même que je ne réagisse, elle appela quelqu’un qui se trouvait dans la pièce adjacente. “Viens vite !! Ma chérie, viens vite, il est là !’’, cria-t-elle presque, folle de joie. “Je suis tellement heureuse que vous soyez enfin là !’’, me confia-t-elle, une main sur le cœur.

Je vis la personne approcher, dans la semi pénombre, je ne la reconnus pas tout d’abord. Puis son visage passa dans la lumière et je crus avoir un choc, une hallucination.

“Emily ??!!’’, m’étouffai-je, n’en croyant pas mes yeux.

“Oh mon Dieu !’’, fit-elle en se jetant dans mes bras, je la serrai de toutes mes forces.

J’enfouis mon visage dans ses cheveux, nous restâmes collés l’un contre l’autre pendant au mois cinq bonne minutes. Quand nous finîmes par nous séparer, la vieille femme arborait un sourire encore plus large et rayonnant.

“Je te présente Mme Mitchell, c’est elle qui ouvre la porte pour nous, au cas où… Tu vois ce que je veux dire.’’, me fit-elle comprendre en m’attirant dans le salon.

La maison était plongée dans l’ombre, une petite lampe dans le living nous guida jusqu’à celui-ci après que nous soyons passés devant un escalier qui devait mener au premier. Emily m’indiqua le sofa, bleu marine, noir peut-être, qui se trouvait sur la droite de la pièce. Nous nous installâmes tous les deux et je levai les yeux en direction de la femme qui m’avait ouvert la porte, toujours aussi heureuse. Elles avaient dû beaucoup parler toutes les trois pour qu’une étrangère se réjouisse autant pour nous.

“Margaret ne devrait pas tarder à rentrer, elle ma dit qu’elle allait faire quelques recherches.’’, me rassura Mme Mitchell, ses petites mains ridées, serrées l’une contre l’autre devant elle.

“Je suis tellement heureux de te revoir en bonne santé.’’, lui dis-je en la fixant, m’assurant que tout allait bien.

“Oui, depuis ma chute, j’ai parfois des maux de tête mais ça va. Maman va faire une crise cardiaque en te découvrant ici !!’’, jura-t-elle, ne me lâchant pas non plus du regard.

“Est-ce que tu as des nouvelles de papa ?’’, m’inquiétai-je soudain, me rendant compte qu’elle n’y avait toujours pas fait allusion.

“Toujours pas, tu sais, on s’est installées ici depuis un mois, le jour où j’ai retrouvé maman.’’, m’annonça Emily, d’une voix fragile. “On a tellement peur que Mr Raines nous retrouve.’’

“Mr Raines ? C’est lui qui vous recherche ?’’, l’interrogeai-je, vivement intéressé par le fait de pouvoir –éventuellement- en apprendre davantage sur les malversations du Centre, mais pouvait-on réellement en parler devant Mme Mitchell ?

“C’est compliqué, Maman m’a expliqué tant de choses étranges…’’, avoua-t-elle en attrapant ma main. “Mr Parker envoie de l’argent à Maman pour qu’elle ne parle pas et ne te recherche pas. Tous les mois on reçoit une très jolie somme sur un compte. Il tient Raines à l’écart et l’envoie sur des fausses pistes pour nous protéger.’’, ajouta-t-elle alors que j’avais l’impression d’étouffer.

“Mr Parker ? Vous protéger ?’’, m’étonnai-je.

“Oui, enfin, ça fait deux mois qu’il n’envoie plus d’argent.’’, précisa-t-elle, pensive.

“Il n’y a rien de surprenant à cela, il s’est jeté d’un avion en plein vol au dessus du Maroc.’’, lui signifiai-je, complètement perdu par ces nouvelles révélations, pourquoi Mr Parker protégeait-il Margaret et ma sœur ?

Décidément, les secrets du Centre étaient toujours plus mystérieux les uns que les autres. Je secouai la tête, à la recherche d’une hypothèse plausible, ce que bien entendu, je ne parvins pas à trouver. Je dû d’ailleurs remettre mes questions à plus tard car quelqu’un venait d’ouvrir la porte d’entrée. C’était-elle, les reflets de la lumière dans ses cheveux marquaient combien ils étaient roux et brillants. Je me mit machinalement debout, avançant vers elle tel un automate, hypnotisé par cette inconnue qui n’avait même pas encore relevé ma présence. Ce qui fut de courte durée car elle accrocha son vêtement au portemanteau et au moment où elle se retourna, elle crut à son tour qu’elle avait des hallucination. Je le vis dans ses yeux, révulsés et grands ouverts, me regardant fixement. Elle restait muette, sous le choc, tout comme je l’avais été quelques minutes auparavant en retrouvant Emily. Mais cette fois, mon cœur battait la chamade, j’avais l’impression qu’il allait sortir de ma cage thoracique.

“Ja…rod…’’, émit-elle, paralysée par la surprise.

C’en était trop, je ne pouvais pas attendre plus longtemps encore. Trente et un ans que je rêvais de la serrer dans mes bras, j’ai donc vite fait disparaître la distance qui nous séparait encore et me jetai dans ses bras.

Mais à peine l’avais-je effleurée qu’elle s’effondra contre moi, inanimée. Je me reculai alors, passant un bras sous son dos et l’autre sous ses genoux afin de la porter jusqu’au sofa. Je l’allongeai doucement pendant qu’Emily soutenait sa tête et que Mme Mitchell glissait un coussin sous sa nuque. Elle ouvrait déjà fébrilement les yeux, esquissant un léger sourire. Je pris sa main dans la mienne, ne pouvant pas me retenir de la serrer, caressant sa peau usée par le temps. Je sentais son cœur battre à travers ses veines bleutés, elle commençait peu à peu à reprendre conscience.

“C’est bien toi ? Je ne rêve pas ?’’, demanda-t-elle, les paupières encore lourdes.

“Oui maman, c’est bien moi, Jarod.’’, répondis-je, le regard troublé par les larmes.

“Je n’y crois pas… Tu es si beau, tu sais je… Je t’aime Jarod, ça faisait si longtemps que je voulais te le redire, et en face cette fois.’’, fit-elle en déposant la main droite, toute tremblante, sur ma joue.

“Oh moi aussi, moi aussi je t’aime, plus que tout maman.’’, lui jura-t-il, les larmes aux yeux en repensant à la scène de Boston, quand ils s’étaient vus de loin.

“Je t’avais dit qu’elle ferait une crise cardiaque en te voyant !’’, s’exclama Emily en s’accroupissant à mes cotés.

“Oui, on n’est pas passés loin.’’, reconnut maman, souriant paisiblement.

“Aller, une bonne tasse de thé et tout le monde va se remettre sur pied !’’, annonça Mme Mitchell, un plateau dans les mains.

Je ne l’avais même pas vu s’éloigner, j’étais sur un petit nuage depuis plus d’une demi heure. J’aidai maman à se redresser et lui tendis une tasse brûlante qu’elle saisit à pleines mains pour la porter à sa bouche. Je ne pouvais pas m’empêcher de sourire, je ne la lâchai pas des yeux, comme si j’avais peur qu’en tournant la tête, elle en profite pour s’éclipser.

Je m’installai à ses cotés sur le canapé, Emily s’empressa de venir à ma droite entourant son bras au mien. J’avais l’impression que l’étau qui entourait mon coeur depuis notre séparation venait de céder, d’exploser brutalement sous un coup de marteau. Et ce marteau, c’était ma mère et ma sœur qui le tenaient encore, comme elles gouvernaient encore mes pensées, mes forces. Je dépendais littéralement d’elles, si elles allaient bien, alors moi aussi. Je m’inquiétai soudain, réalisant que deux personnes manquaient encore à l’appel, j’avais tellement été obnubilé par ces retrouvailles que mon esprit s’était totalement évadé.

“Vous avez eu des nouvelles d’Ethan ? Vous savez où il se trouve, comment il va ?’’, les interrogeai-je subitement en me tournant vers Emily qui me répondit par la négative.

“Je suis désolée, quand tu es parti à sa recherche, notre père est revenu à la congrégation de sœur de Ste Catherine. Il m’a dit qu’on devait fuir car il avait peur que deux hommes nous retrouvent. Mr Lyle et Mr…’’

“Cox.’’, terminai-je, me remémorant ce jour où dans le métro Mlle Parker, Ethan et moi avions failli mourir. “Il a bien fait.’’, affirmai-je en me massant la nuque.

L’autre personne à laquelle je réfléchissais était mon… Clone. Je ne savais même pas comment je devais l’appeler et je ne savais pas non plus si elles étaient a courant de son existence. Emily remarqua mon air perdu, elle pencha la tête pour mieux voir mon regard.

“A quoi pense-tu ?’’, demanda-t-elle, voyant combien j’étais préoccupé.

“Et bien, c’est difficile à dire. Est-ce que papa vous aurait fait part d’une découverte quelque peu… étrange ?’’, questionnai-je avec hésitation, je ne souhaitait pas les bouleverser davantage qu’elles ne l’étaient déjà.

“Nous savons de qui tu nous parles Jarod.’’, acquiesça maman en prenant de nouveau ma main dans la sienne. “Tu veux parler de Gemini n’est-ce pas ?’’, devina-t-elle en affichant un sourire rassurant.

“Oui, est-ce que vous l’avez rencontré ?’’, m’enquis-je immédiatement, voulant en savoir plus sur lui.

“Non, c’est Emily qui m’a appris que le Centre t’avais cloné. C’est ton père qui le lui avait expliqué durant leur fuite.’’, m’informa-t-elle le plus tranquillement du monde. “Il te ressemble comme une goutte d’eau quand tu avais son âge, Emily t’as… Emprunté quelques DSA avant de se sauver du couvent.’’, ajouta-elle en envoyant un regard malicieux à ma sœur.

“J’ai été frappé par notre ressemblance, si tu l’avais vu, j’ai cru que c’était moi !’’, reconnus-je, quelque peu abasourdi, rien qu’en me rappelant son visage.

“Papa et moi avons réussi à retrouver maman alors il m’a dit d’aller la voir pendant qu’il allait chercher Gemini. Ensuite, il m’a téléphoné, me disant qu’il allait bien et que Gemini aussi, seulement qu’ils ne pouvaient pas nous rejoindre pour le moment. Ca fait de ça un mois, depuis, nous n’avons plus de nouvelles.’’, dit-elle en arborant un air plus ombre, angoissé même.

***

Je ne pouvais toujours pas me faire à cette idée, j’avais presque retrouvé toute ma famille. Même si elle était encore séparée, je me rendais compte que j’avas eu la chance de pouvoir en serrer chacun des membres dans mes bras. C’était tellement irréel, j’avais l’impression que plus ça allait, plus j’approchais du but et qu’un jour, nous serions enfin tous réunis et disparaîtrions pour former une vraie famille. Dans le noir, je me redressai dans le lit pour atteindre ma veste en cuir, mon téléphone portable se trouvais dedans. Je le saisis, l’ouvris et appuyai sur la touche mémoire, ne sachant pas encore qui je devais appeler. Si j’avais appuyé sur le 1, je serais tombé sur Parker, en revanche, si j’avais pressé le numéro 2, j’aurais pu parler à Sydney. Je ne savais pas à qui j’avais envie d’annoncer cette formidable nouvelle, je reposai le téléphone sur mon oreiller, posant ma tête à coté. Je le fixai un instant, il était très tard, à cette heure-là, Parker était la seule qui me répondrait à coup sûr et qui comprendrait la situation, étant donné qu’elle était à l’origine de ces retrouvailles. Je ne pu résister plus longtemps et composai le numéro 1.

“Tu l’as retrouvée ?’’, l’entendis-je dire sans même attendre de savoir si c’était bien moi.

“Parker, je ne te remercierai jamais assez.’’

“Ce n’est pas grâce à moi mis grâce à Broots que as retrouvé ta mère.’’, rectifia-t-elle, encore étonnement bien réveillée au beau milieu de la nuit.

“Emily est là elle aussi, je suis tellement heureux de pouvoir enfin les voir, leur parler, sentir leur parfum.’’, lui confiai-je, me rendant compte un peu trop tard que je risquais de la faire souffrir.

“Tu as de la chance, tu le peux encore toi.’’, souligna-t-elle d’une voix triste.

“Tu ne dormais pas ?’’, fut la seule phrase que je trouvai pour changer de sujet.

“J’attendais que tu m’appelles.’’, m’avoua-t-elle à ma plus grande surprise, alors elle se souciait pour moi ? “Je savais que tu le ferais alors je ne voyais pas l’intérêt d’essayer de dormir pour que tu me réveilles à 4h du matin comme tu te plais à le faire.’’, se rattrapa Parker, ce qui n’était pas utile car elle s’était déjà trahie.

Ce que je pouvais apprécier quand elle laissait transparaître ses émotion, ne serait-ce qu’une seconde comme elle venait de le faire. Cela prouvait qu’elle était humaine, vivante comme tout le monde. Je détestais le Centre de toutes mes forces pour le mal qu’il pouvait faire. Mais rendre Parker aussi dure, aussi inébranlable, ils pouvaient être fiers, d’eux, ils avaient réussi un vrai lavage de cerveau sans même un seul docteur. Je me souviendrais toujours du jour où elle est partie du Centre, pour faire ses études, elle était une petite fille presque comme toutes les autres. Gentille, douce, mais néanmoins fragilisée par la –pseudo- mort de sa mère, elle était ma meilleure amie, ma seule amie car on ne pouvait pas dire qu’Angelo était très bavard. Et quand je l’ai retrouvée, un jour de mai 1996, ce n’était plus elle.

*Flash Back*

Je l’observais depuis une dizaine de minutes, dissimulé par l’angle d’une rue. Elle était installée à la table d’une terrasse, buvant un verre avec un ami. Elle portait un tailleur bordeaux dont la jupe fendue jusqu’à mi-cuisse laissait apparaître ses longues et interminables jambes. J’étais littéralement obnubilé par cette image, me disant combien elle avait grandi et combien elle était belle.

Elle discutait avec l’homme qui l’accompagnait, souriant de temps à autres, elle était resplendissante. Le vent jouait avec ses cheveux, faisant voler ses mèches auburn tout autour de son visage. Elle avait l’air d’aller bien, tant mieux. Se souvenait-elle de moi ? Avait-elle essayé de me retrouver ? Le Centre avait dû lui dire que j’étais mort ou qu’ils m’avaient relâché.

Elle se leva, que devais-je faire ? Elle marcha dans ma direction, je restai paralysé. D’un coté, j’avais terriblement envie de lui parler, de lui demander si tout va bien, mais d’un autre… D’un autre coté, peut-être qu’elle avait déjà reçu l’ordre de garder les yeux ouverts pour me retrouver, après tout, je ne me suis sauvé que depuis 3 jours. Aller, c’était décidé, j’avais trop envie de lui parler. Quand elle passa le coin de la rue, je me plantai devant elle, droit comme un piquet.

“Je peux savoir ce qui vous prend ?’’, questionna-t-elle avec dédain, haussant un sourcil.

Sa voix, bien qu’un peu rauque sur le coup, était sublime. Suave et grave, elle lui conférait un caractère fort et déterminé. Son parfum m’enivra en l’espace d’une seconde.

“C’est moi Mlle Parker, c’est Jarod.’’, lui dis-je en prenant mon courage à deux mains.

“Ouais, c’est ça, et moi c’est mère Térésa, barrez-vous.’’, m’ordonna-t-elle d’un ton agressif, en essayant d’avancer mais je ne bougeai pas.

“Parker, est-ce que ça va ? Viens.’’, lui demandai-je en prenant son bras pour passer dans la ruelle.

J’avais peur qu’une équipe de nettoyeurs ne nous trouve, après tout, peut-être la suivaient-ils en espérant qu’elle les mèneraient jusqu’à moi ?

“Lâchez-moi !’’, s’exclama-t-elle en retirant son poignet de ma main d’un geste violent.

Je fus surpris, je ne m’attendais pas à ce qu’elle ai autant changé. Elle paraissait si froide, si distante. Elle ne me reconnaissait peut-être pas, ce qui expliquait son comportement, mais elle était si différente. Comme si e n’était plus la même personne, pourtant, je ne m’étais pas trompé, c’était bien Parker, j’étais sûr de mes sources.

“Vous n’êtes pas Jarod, Jarod est mort et enterré depuis au moins dix ans. Alors allez faire vos plaisanteries débiles à quelqu’un d’autre, ça ne prend pas avec moi !’’, affirma-t-elle sévèrement avant de s’éloigner d’un pas rapide.

Ce regard, encore plus bleu et transparent que quand elle était enfant. Mais il était transformé, comme si un voile le recouvrait, il me lançait des éclairs. Je restai là, abattu, hébété, tellement troublé par la situation. Deux semaines après, j’apprenais qu’elle était allée à Anchorage, suivant ma piste. C’était à partir de ce moment-là que le « jeu du Chat de la Souris » avait commencé.

*Fin du Flash Back*

Après ce petit moment d’égarement, je secouai la tête pour reprendre mes esprits. Parker m’avait appelé plusieurs fois, se demandant sûrement ce que je fichais. Je parvins rapidement à me souvenir de quoi nous discutions.

“Ecoute Parker, on a parlé avec ma mère et… Elle voudrait te voir, elle a quelque chose de très important à te dire, face à face.’’, lui annonçai-je après m’être reconcentré. “Est-ce qu’on peut venir ?’’, lui demandais-je, presque timidement.

“Venir me voir ? Dois-je te rappeler que j’habite à Blue Cove, autrement dit à coté du Centre ?’’, ma signifia-t-elle, visiblement troublée par cette question.

“Elle ne m’a rien dit, seulement que ce secret, ta mère lui as fait promettre de te le révéler. Catherine lui a confié une chose que ses voix lui ont dévoilé. Maman m’a aussi dit qu’elle devait nous avouer quelque chose sur elle et Catherine, quelque chose que peu de monde sait.’’, lui dis-je encore, déterminé à la convaincre.

“Alors venez, à vos risques et périls.’’, accepta Parker en semblant de plus en plus intéressée par mes révélations.

“Ne t’inquiète pas Parker, ta maison est le dernier endroit où le Centre imaginerait me trouver moi et ma famille !’’, lui lançais pour essayer de la rassurer.

“Ouais, c’est ça, ou le premier. Je peux te dire que Raines et Lyle sont loin de m’accorder leur confiance.’’, m’assura-t-elle avant de raccrocher.

C’était évident, la journée suivante promettait d’être riche en découvertes et en émotions. J’avais eu beau tanner ma mère pour qu’elle me révèle ses secrets, elle avait tenu bon. Je ne savais pas pourquoi mais elle voulait à tout prix le faire en présence de Mlle Parker. Comme quoi, nos origines étaient bien plus liées que ce que l’on pensait, même en tenant compte du fait qu’Ethan était notre demi frère, à tous les deux. Je n’arrêtais pas de torturer mon esprit avec des dizaines de questions, des centaines d’hypothèses, que pouvait-elle encore avoir à nous apprendre ? Le Centre et ses relations étaient si complexes, j’avais l’impression que jamais je parviendrai à en venir à bout. Peut-être était-ce le cas mais que je ne le savais pas encore ?

Je voyais sans cesse le visage de Mlle Parker en fermant les yeux, ou peut-être était-ce celui de sa mère ? Je ne pouvais pas faire la différence après ce que j’avais appris, étant clones, on ne pouvait pas les différencier. J’imagine que Parker et Gemini auraient beaucoup de choses à partager, ils ont la même histoire. Clonés, gardés prisonniers par le Centre… Oh, Gemini s’était enfui, c’était merveilleux mais quoi qu’en dise Parker, elle était toujours prisonnière de cette exécrable famille, de ses murs gris et froids et de son passé, plus sombre encore que le plus profond des sous terrains du Centre. Un jour, peut-être réalisera-t-elle sa situation et essayera-t-elle de s’en sortir, et ce jour-là, je ferai tout pour être présent et pour lui tendre la main qui la guidera.

***

Chapitre 3


Je sortis de la douche, fermai mon peignoir et attrapai un peigne pour me démêler les cheveux. Soudain, j’entendis frapper à la porte, Jarod et sa famille arrivaient déjà, il était pourtant très tôt. Tout en rejoignant le salon, je m’assurai que ma ceinture était bien nouée et tentai d’éponger l’eau qui me coulait dans la nuque. Je me retrouvai ensuite face à Jarod, Margaret et Emily, tous trois me dévisageant, mais je doutais cependant que ce soit pour les mêmes raisons. Je m’effaçai pour leur permettre d’entrer, les invitant à s’installer au salon pendant que j’allais enfiler quelques vêtements.

Quand je fus de retour, je ne perçus que quelques bribes de leur conversation qui, évidemment, portait sur moi et mon incroyable ressemblance avec ma mère. A priori, elles étaient déjà au courant de ma situation, tant mieux, je ne tenais pas à devoir tout leur expliquer. Je m’arrêtai, appuyant mon épaule contre l’embrasure de la porte, les observant en silence.

“Parker !’’, fit Jarod en s’apercevant de ma présence. “Approche, maman a des choses à te dire.’’, me demanda-t-il en me faisant signe de venir.

Je fis quelques pas, décidant de m’asseoir sur le fauteuil, en face d’eux. Je reposai mes avant bras sur mes genoux, entrelaçant mes doigts pour m’empêcher de jouer avec ma bague ou de les triturer pendant une heure. Je ne tenais pas à ce qu’ils remarquent combien j’étais impatiente et anxieuse. Margaret, quant à elle, me fixait avec insistance, la première fois qu’elle m’avait vue, elle avait été plus que choquée. Elle ne faisait que me comparer avec ma mère, probablement pour vérifier si je lui ressemblais tant que ça.

“Est-ce que vous voulez quelque chose à boire, du café ?’’, leur proposai-je en croisant les doigts pour qu’ils n’aient pas faim car il était rare que je mange chez moi donc mon frigo était totalement vide.

“Non merci, nous avons pris notre petit déjeuné avant de partir.’’, me rassura Jarod. “Que voulais-tu nous dire maman, qu’est-ce qui est si important pour que tu veuilles le dire en face de Mlle Parker ?’’, s’empressa-t-il de la questionner, la soif de réponses ayant eu raison de lui.

“Vous devez certainement savoir que Catherine et moi nous connaissions.’’, dit-elle, cherchant visiblement par ou commencer. “Et bien disons que nous sommes les seules à connaître certaines choses, certains secrets sur… Vous.’’, ajouta-t-elle en me regardant, éveillant de plus en plus notre curiosité à Jarod et à moi.

“Sur moi ?’’, interrogeai-je, intriguée.

“Je sais que votre mère a simulé son meurtre dans l’un des ascenseurs du Centre afin d’échapper à des personnes qui voulaient sa mort. Et… Elle m’a dit que Mr Raines l’avait aidée à le faire. Ca, elle me l’a appris au début du mois de novembre 1970.’’, expliqua-t-elle en essayant d’être la plus claire possible.

“Autrement dit, juste avant la naissance d’Ethan. Broots m’a montré un DSA il y a quelques mois, où je voyais ma mère arriver dans la maison de Raines. C’était le… 18 ou le 19 juin 1970, 6 mois après, elle accouchait et ce… Cette pourriture l’abattait sur la table de travail.’’, leur racontai-je afin de simplifier la situation. “Mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi elle vous a appelée alors que tout le monde la pensait morte ?’’

“Et bien justement, c’est la raison pour laquelle je devais vous parler. Ce n’est pas facile à dire, d’autant plus que vous cherchez tous les deux des réponses depuis si longtemps...’’

“Je vous en prie, abrégez, sinon je vais finir par croire que vous faites partie de la famille de Broots !’’, lançai-je, accompagné d’un regard suppliant.

“Non, je ne fais pas partie de la famille de ce Broots, mais de la vôtre.’’, déclara-t-elle, détournant les yeux en appréhendant ma réaction.

Je restai stupéfaite, bouche bée, incapable d’articuler quoi que ce soit. De ma famille ? Qu’est-ce que j vais encore apprendre ? Qu’elle est en fait ma vraie mère ? Je secouai la tête, espérant pouvoir enfin me réveiller et me rendre compte que tout ceci n’était qu’un affreux cauchemar. Manque de chance, je me trouvais toujours au milieu de mon salon, observant mes invités d’un air interloqué.

“Et…’’, balbutiai-je, décontenancée. “Vous êtes qui au juste pour moi ?’’, questionnai-je d’une voix craintive.

“Je suis… Je suis votre tante, la sœur de Catherine.’’, confessa-t-elle tout bas, comme si les murs avaient des oreilles.

Je jetai un œil sur Jarod, tout aussi troublé que moi à ce que je voyais. Instinctivement, ma main vint se poser sur ma bouche, j’avais des difficultés à respirer. Mes vêtements me parurent soudainement trop serrés, étouffants. Je sentais même déjà la sueur perler sur mon front, pourtant j’avais froid… et chaud aussi. Il m’était impossible de décrire ce que j’éprouvais, tout se mélangeait dans mon esprit, mes sensations se brouillaient en une sorte de nœud indéfectible.

“Est-ce que vous allez bien ? Vous voulez un verre d’eau ?’’, s’inquiéta Emily en constatant l’effet qu’avait eu sur moi cette bouleversante nouvelle.

“N… Non, je crois que ça va aller…’’, affirmai-je en me levant, souhaitant rejoindre la salle de bain.

Pour ce faire, je marchai quasiment en titubant, j’étais pourtant tout à faire sobre. Pour éviter de tomber, à chaque fois que je m’approchais d’un meuble, je posais la main dessus pour me soutenir. Ce n’était pas tout à fait nécessaire, juste un besoin de me rassurer, j’avais l’impression que si je ne le faisais pas, j’allais m’effondrer sur place. Je parvins jusqu’à la salle de bain où je m’arrêtai devant la glace. J’étais encore plus blanche qu’à l’habitude, à faire peur, n’importe qui aurait cru que j’étais sur le point de rendre l’âme. Ce que je pouvais me détester quand j’étais comme ça, je me faisais penser à un fantôme, un spectre, bref à tout sauf à un être humain.

J’entendis Margaret conseiller à Jarod de me rejoindre pour prendre de mes nouvelles. A peine je m’étais retournée qu’il était là, je ne pu retenir un sourire. Il était aussi pâle que moi, peut-être moins, je crois qu’il était encore en Californie le mois le dernier, le soleil lui aura doré la peau. Je m’assis sur le rebord de la baignoire, la tête baissée.

“Toi et moi ? Cousins ?’’, soupirai-je, sans pouvoir décrire mes sentiments.

Etais-je déçue ? Etais-je en colère, perdue ou bouleversée ? Je ne le savais pas moi-même. Jarod prit place à mes cotés, adoptant pareille position.

“Quand elle a dit ça, un mot a instantanément résonné dans ma tête.’’, murmura-t-il d’un ton incroyablement calme et rassurant.

“Lequel ?’’, fis-je d’une toute petite voix, presque timide.

“NuGenesis.’’, dit-il simplement, se relevant d’un bond.

Il se tourna vers moi, son regard m’invitant à le suivre. Je restai muette, à quoi son esprit torturé de génie allait-il encore faire allusion ?
Mon cousin, ce que ça pouvait faire drôle quand on pensait à tout ce que l’on a pu imaginer des centaines de fois. Le fin sourire qui ornait mes lèvres disparut soudainement. Et Carthis ? Mon Dieu, je bénis Ocee d’être arrivée à temps, un peu plus et j’allais… Avec mon cousin… J’émis un rictus quelque peu dégoûté, on avait eu très, très chaud.

Quelle étrange sensation que de se faire à l’idée qu’il faisait partie de ma famille, tout autant qu’Emily ou Margaret. J’avais failli ramener, à plusieurs reprises, mon propre cousin au Centre. Ce simple mot changeait toute la donne, il bouleversait tout le petit monde qui tournoyait autour de nous depuis plus de cinq ans. Tous nos repères, nos passés, nos objectifs s’effondraient tels un château de carte. Rien de ce que nous avions établi, de ce que nous avions construit n’était encore debout, cette révélation avait été comme un violent coup de vent. Je finis par le rejoindre dans le salon au moment où il posait d’autres questions à sa mère.

“Ton père et moi voulions désespérément avoir des enfants mais nous n’y parvenions pas. J’en ai bien sûr fait part à Catherine qui m’a proposé de prendre un rendez-vous à NuGenesis pour faire des tests. J’étais stérile alors ils m’ont dit qu’ils pouvaient essayer quelque chose, en dernier recours. Ils… Ils m’ont inséminée l’ovule fécondé d’une autre femme et… Tu es né 9 mois plus tard. Catherine n’avait pas connaissance des agissements de cette entreprises et des contrats avec le Centre pour recruter des Caméléons potentiels. Elle ne l’a su que des années après, quand ils t’ont enlevé à moi et qu’elle a mené sa petite enquête…’’, expliqua-t-elle sous trois paires d’yeux parfaitement attentives.

“Tu n’es donc pas ma vraie mère, c’est ça ?’’, demanda Jarod avec hésitation, espérant que ce qu’il pensait était faux.

“Je t’ai élevé comme mon fils Jarod, je t’aime autant aimé qu’Emily et Kyle.’’, jura-t-elle en posant sa main sur son visage, le fixant d’un regard suppliant.

Des larmes commençaient à naître aux coins des yeux de Jarod. Il s’assit pour mieux supporter cette nouvelle, la tête dans ses mains.

“Vous voulez insinuer que Kyle et Emily sont bien vos enfants ?’’, fis-je en haussant un sourcil.

“Peu de temps après la naissance de Jarod, par insémination, je suis tombée enceinte de Kyle et ensuite d’Emily. On m’a dit que j’avais créé un blocage car je désirais tellement avoir un enfant, c’était presque devenu une obsession. Le fait d’avoir enfin ce que je voulais le plus au monde, de devenir maman, a fait que tout s’est libéré dans ma tête, tout était psychologique.’’, justifia-t-elle, ne s’éloignant pas de Jarod qui semblait bouleversé.

On en avait appris en deux jours, je n’avais jamais eu autant de réponses à mes questions en si peu de temps. J’étais toujours debout, à coté du fauteuil sur lequel Jarod avait pris place, il avait vraiment l’air secoué. Qui d’autre que moi pouvait mieux le comprendre ? Tousses secrets révélé apportaient néanmoins une foule d’autres interrogations.

“Et ma… Ma vraie mère ?’’, murmura-t-il, appréhendant la réponse qu’allait lui apporter Margaret.

“Je suis désolée Jarod… Je n’ai aucune idée de qui elle est, et de l’endroit où elle peut bien se trouver.’’, sanglota-t-elle, le visage désormais déchiré par le chagrin et le remords.


Jarod se leva brusquement, se dirigeant vers la porte d’entrée, puis disparut sans que personne n’aille le rattraper. Que faire pour le calmer ? Que faire pour le rassurer ? Rien, et je ne le savais que trop bien. Il retrouverait seul sa sérénité, personne ne pourrait l’aider comme personne ne pouvait m’aider.

Le regard torturé, Margaret se tourna alors vers moi. Elle fit un pas en avant, inclinant la tête. Un frisson me parcourut l’échine, j’allais apparemment en prendre aussi pour mon grade ! J’étais le clone de ma mère, rien de ce qu’elle pourrait me dire ne me choquerait davantage. Si je ne m’étais pas tiré une balle avant la fin de la semaine, j’aurais eu de la chance.

“Votre mère, elle savait que vous étiez son clone, elle savait aussi que vous entendriez des voix, ce sont les siennes qui lui ont tout dit. Mais vous ne connaissez qu’une partie du secret. Les rouleaux, j’ai abandonné par deux fois alors que j’étais près du but. Nous avions même pris une photo avec Catherine en face du Halley Sport Bar mais elle a continué seule sa quête car les hommes du Centre étaient à mes trousses. Et puis quand je vous ai vue sur Carthis, j’ai eu si peur, vous étiez comme un fantôme pour moi, un retour sur le passé. Vos voix, Catherine m’a dit qu’elles étaient la clé de tout, qu’elles vous mèneraient aux rouleaux et là, vous découvririez quelle est votre place et ce que vous représentez réellement pour le Centre.’’, me confessa Margaret, plus terrorisée que jamais.

“Ma place ? Ce que je représente pour le Centre ? Mais c’est Jarod qui…’’, bafouillai-je, les idées complètement retournées, mélangées.

“Je vous ai dit tout ce que je savais, tout ce que Catherine a cru bon de me confier.’’, promit-elle avant de se jeter sur la porte d’entrée.

Je n’eus pas la force de la suivre, m’effondrant à mon tour dans le fauteuil que Jarod avait quitté quelques minutes auparavant. Les yeux fixant le plancher, j’entendis Emily la suivre, m’avertissant qu’elle reviendrait plus tard.

Tout se mit alors à tourner autour de moi, à une vitesse fulgurante. Je me sentais balancer, ne trouvant plus mon équilibre. J’avais chaud, extrêmement chaud et mes mains moites collaient au cuir du fauteuil. De nouveau, ma respiration se faisait haletante, irrégulière. Et puis soudain le froid prit mon ventre et la douleur s’en empara, telle un couteau déchirant ma chair. Je pressai mon estomac à l’aide de mes bras mais rien n’y fit, ma vue se brouilla. Je voulut atteindre la table basse pour attraper mon portable mais en me penchant je m’écroulai sur le sol. Je ramenai alors mes genoux sur ma poitrine, adoptant la position fœtale en espérant faire disparaître cette insupportable souffrance.

***


“Est-ce que ça va mieux ?’’, entendis-je avant même d’ouvrir les yeux.

Comment savait-il que j’étais éveillée ? Il m’étonnerait toujours. Sous les draps je fis glisser ma main sur mon ventre, je ne sentais plus rien, la douleur s’était envolée. Je n’avais pas envie d’ouvrir les yeux, je voulais rester au lit pour dormir pendant des jours afin de tout oublier. Et puis, si je soulevais mes paupières, la seule barrière qui me protégeait encore du regard préoccupé de Jarod, je ne savais pas ce qui allait se passer. Allais-je rester de marbre ? Allais-je fondre ? Allais-je craquer ? De toute façon, à quoi me servait-il de me poser des questions, je n’obtenais jamais la moitié des réponses…

Soudain, je sentis son souffle, chaud, calme, juste au dessus de mon visage. Un frisson me parcourut, ce n’était ni le froid ni la peur. Je ne savais pas ce qu’il faisait et ça m’intriguait alors je me décidai à ouvrir les yeux au moment où ses mains frôlèrent mon visage. Il ne fit que réajuster mon oreiller, soigneusement, tendrement dirai-je même.

“Alors ça y est, la Belle au Bois Dormant est enfin parmi nous.’’, remarqua-t-il avec un sourire.

“Est-ce que ça va ?’’, m’inquiétai-je, quand il était parti, il m’avait semblé très secoué.

“Ce serait plutôt à moi de te poser cette question tu ne crois pas ?’’, souligna-t-il d’une voix rassurante.

“Ca va, depuis mon opération, j’ai quelques douleurs qui apparaissent subitement pour disparaître aussi vite.’’, affirmai-je pour qu’il ne s’inquiète pas pour rien.

Et depuis quand je me souciais de son état d’esprit ? Devenais-je folle ? Je l’appelle pendant la nuit, je l’invite chez moi avec toute sa petite famille et après, je me fais sagement border. Je crois que le fait de me savoir le clone de ma mère m’a fait “péter un boulon’’, je n’avais plus aucune notion de ce qu’était la réalité, plus aucun repère.

“Quelle heure est-il ?’’, l’interrogeai-je sèchement.

Il remarqua immédiatement mon changement d’humeur, il se mit alors sur ses gardes, méfiant. D’un coté, il avait raison de l’être, j’avais envie de le ramener au Centre sur le champ. C’était vrai quoi, il était la cause de tous mes soucis, avec ses coups de fil au beau milieu de la nuit, ses énigme à vous torturer l’esprit pendant des semaines, ses révélations traumatisantes… Je lui en avais peut-être fait voir de toutes les couleurs pendant 5 ans mais lui alors, il m’en avait fait payer le prix, plus les intérêts. Mais d’un autre coté, c’était tout de même grâce à lui que j’avançais dans ma « quête de la Vérité », que je me connaissais mieux -comme je connaissais mieux les personnes qui m’entouraient. Il avait vraiment le don d’exaspération, des fois on a envie de le jeter hors de chez soi avec un bon coup de pied bien placé, mais à d’autre moments… On a presque envie de le serrer dans nos bras pour le remercier de ses services ou pour le cajoler quand il arbore cette mine dépitée, semblable à celle du cocker en mauvaise posture… Et je ne parlais pas de son regard, ses yeux noirs parfois scintillants de larmes à vous fendre le cœur quand il y ajoute en plus un « Parker… » suppliant !

“11h47’’, répondit-il brusquement, comme pour me sortir de mon mutisme passager.

“Hum…’’, soupirai-je en jetant un œil sous les draps, dès fois qu’il en aurait profité pour me mettre en pyjama, dans l’unique but de se rincer l’œil.

Mais il avait été raisonnable, j’étais toujours parfaitement couverte. Heureusement pour lui et… ses parties génitale. Je m’assis, entre ouvrant la bouche. Et oui Parker, trois heures après, tu réalises : Jarod n’est plus ton cousin, du moins, génétiquement. Je haussai les épaules, me parlant intérieurement, peut-être était-ce mieux comme ça.

“Qu’est-ce que qu’il y a Parker ?’’, fit-il alors, intéressé.

“Rien, je viens de réaliser que nous ne sommes pas cousins.’’, expliquai-je d’une voix rauque en tentant de me lever, ce qui fut quelque peu laborieux sur le coup.

“Et alors ? Qu’est-ce que ça te fait ressentir ?’’, s’enquit-il, soudainement passionné par la conversation.

Et puis d’abord, c’était quoi cette question piège dans lequel je ne tomberais pas aussi misérablement qu’il se l’imaginait ? Ce que ça me faisait ressentir ? A part l’envie extrême de lui envoyer mon poing en pleine figure, je ne voyais pas trop… J’émis un grognement significatif, le défendant d’aller plus loin.

“Tu as faim ?’’, demanda-t-il, contournant avec intelligence le sujet de la discussion.

“Vas-t’en ! Je peux me nourrir toute seule. Profites-en avant que je ne me décide à mettre enfin la main sur mon Smith&Wesson.’’, lui conseillai-je en sortant de la chambre.

“Mais…’’

Je me tournai vers lui, le fixant d’un regard qui se voulait agressif. Il le soutint un instant puis se résolut à attraper sa veste en cuir pour l’enfiler tout en me suivant. Je m’arrêtai dans l’entrée de la cuisine, tournant la tête pour l’observer quitter ma maison.

“Ta mère nous a dit ce qu’elle avait à nous dire. Maintenant, on continue nos recherches chacun de notre coté et tout redevient comme avant. Enfin…’’, m’interrompis-je.

“Sauf pour ce qui est du Chat et de la Souris, je connais la chanson.’’, rétorqua-t-il en claquant la porte derrière lui.

Je soupirai longuement, me servant un verre d’eau. Je portai le liquide transparent à ma bouche mais m’arrêtai en chemin : ce n’était pas de l’eau dont j’avais besoin. J’allais m’en débarrasser quand je repensai à moi dans le salon, quelques heures auparavant. Tout compte fait, de l’eau c’était très bien. Je vidai le verre d’une traite, ça ne me faisait pas le même effet qu’une bon whisky pur malt de 15 ans d’âge mais c’était tout de même moins nocif pour mon foie.

***

“Mlle Parker !!’’, m’appela Broots alors que je m’apprêtais à entrer dans mon bureau.

“Bonjour Broots’’, répondis-je en insistant sur le premier mot.

“Euh oui, bonjour, vous allez bien ? Vous n’étiez pas là ce matin…’’, souligna-t-il, curieux.

“Je n’ai pas de compte à vous rendre que je sache ? Pourquoi vouliez-vous me voir ?’’, continuai-je avant qu’il se fasse dans son pantalon.

“Et bien… C’est Lyle.’’

“Quoi ? Qu’est-ce qu’il a encore fait ?’’, soupirai-je en ouvrant la porte à battant de mon bureau, laissant passer ce petit crâne dégarni devant moi.

“Il… Il trafique quelque chose.’’, affirma-t-il en hochant la tête.

“Oui… Et…’’, dis-je pour l’inviter à s’expliquer.

“Et bien, il est parti très tôt avec une équipe de nettoyeurs ce matin. Comme j’ai cru qu’il avait trouvé une piste sur Jarod, je ne voulais pas qu’il l’attrape avant vous parce vous perdriez votre tête. Enfin, je ne suis pas sûr qu’il prendrait le temps de vous décapiter avant de vous tir…’’ s’interrompit-il en m’entendant taper du pied. “Il a reçu un mémo de l’une de nos antennes de Washington, mais nulle part il ne faisait mention de Jarod ! C’est bizarre non ?’’, questionna-t-il en baissant la voix.

“Hum…’’, émis-je, la main soutenant mon coude gauche pendant que mon pouce faisait tourner ma bague autour de mon index. “LYLE !’’, m’exclamai-je.

“Quoi ? Il est là ?’’, s’inquiéta Broots en jetant un œil dans chaque coin de la pièce, vérifiant même sous le bureau, pourtant constitué d’un plaque en verre…

“Non. Euh… Faites-moi des recherches…’’

“Sur Lyle ?’’

“Si vous me laissiez finir mes phrases ?’’ répliquai-je sévèrement. “Sur la gémellité, mais au niveau du fœtus, de l’ovule même.’’, lui ordonnai-je avant de quitter la pièce.

“Mais c’est quoi le rapport avec les manigances de Lyle ?’’, l’entendis-je demander à mi-parcours, ce qui ne m’empêcha pas de m’éclipser sans répondre.

***

Je finissais de remplir la petite mesure fournie avec mon médicament contre l’ulcère quand Sydney se posta devant moi. Il arborait un sourire énigmatique, je lui fis donc un signe de la tête pour qu’il me donne le fond de sa pensée.

“Broots m’a fait part des recherches que vous lui avez demandées de faire. Je présume que cela est en rapport avec votre absence injustifiée de ce matin ?’’, devina-t-il, joignant ses mains sur le bas de son ventre.

“Nous ne sommes plus au collège Sydney, je n’ai plus besoin que mes parents me remplissent des mots d’absence.’’, objectai-je, agacée qu’il comprenne toujours tout sans qu’on ait besoin de lui expliquer.

“Vos parents en ont-il seulement vu la couleur une seule fois ?’’, rétorqua-t-il avec ce que j’appellerais volontiers de l’insolence, raison pour laquelle je répondis d’un profond soupir. “Je vois que j’ai approché la Vérité à en voir votre réaction.’’, remarqua-t-il malgré mes efforts pour me contenir.

“Bon, vous avez des informations intéressantes et constructives à avancer ou vous étiez juste venu pour essayer de réveiller mon ulcère ?’’, lançai-je de façon à ce qu’il arrête de tourner autour du pot.

“J’ai réfléchi à ce que vous avez demandé, j’en suis venu à une question que vous devez vous poser.’’, admit-il en s’asseyant en face de moi.

“Qui est… ?’’

“Comment pouvez-vous être le clone de votre mère et pas Lyle.’’, demanda-t-il en s’accoudant à mon bureau pour me regarder droit dans les yeux.

“Vous savez, vous auriez un succès phénoménal si vous décidez de faire un numéro de télépathie.’’, reconnus–je avec un mince sourire. “Vous avez une suggestion à apporter ?’’

“Possible.’’, fit-il doucement avant que je n’émette un bruyant soupir afin de le motiver à parler. “Il n’est pas impensable que votre mère ait été enceinte de Lyle avant que l’on ne l’insémine, pour vous obtenir. Les deux fœtus se seraient développés tous deux en même temps dans l’utérus de votre mère et nous faire penser que vous étiez des jumeaux.’’, imagina-t-il sous mon regard ébahi.

“Ce qui expliquerait le peu de ressemblance entre Lyle et moi.’’, acquiesçai-je, rassurée. “Mais j’ai pourtant comparés nos matériels génétiques ?’’, me remémorai-je soudainement.

“Vous avez la même mère, les tests ne peuvent jamais correspondre à 100%, ce qui justifie les résultats. Il n’y a rien d’étonnant à cela.’’, dit-il en posant une main sur la mienne.

“Je pensais à une chose… On sait que c’est avec le sperme de Raines que ma mère a été inséminée pour que je sois créée. Vous pensez que Lyle pourrait lui être le fils de Mr Parker ?’’, questionnai-je en serrant ses doigts.

“Pourquoi pas, étant frères, il est tout à fait possible que les tests aient été en quelque sorte faussés car leurs ADN se ressemblent beaucoup.’’, pensa-t-il à haute voix pendant que je l’écoutais attentivement.

Je baissai les yeux, j’étais presque contente. Lyle me faisait tellement honte, je n’arrivais pas à croire qu’il puisse aussi bien être le fils de Catherine que mon frère. Nous avons tellement peu en commun, que ce soit du point de vue psychologique ou physique. C’était en fait une assez bonne nouvelle, la seule depuis deux jours.

“Mlle Parker ?’’, fit Broots en entrant dans le bureau. “J’ai fait les recherches que je vous m’aviez demandées…’’, commença-t-il avant que je ne l’interrompe.

“Merci, c’est inutile, Sydney m’a aidée à y voir plus clair.’’, lui dis-je en me levant. “Au fait, pour Lyle, vous avez du nouveau ?’’, demandai-je en arrivant à sa hauteur.

“Tout ce que je sais, c’est qu’il a reçu un deuxième mémo. Il parlait d’un certain Mr C. qui aurait pris un vol pour le Delaware il y a deux jours, peut-être accompagné.’’, expliqua-t-il en me tendant un petit morceau de papier griffonné.

“Merci, je vais rentrer. Je présume que vous n’avez rien sur Jarod ?’’, questionnai-je à l’improviste, juste histoire de ne pas éveiller les soupçons.

Broots secoua négativement la tête, ce à quoi je m’attendais. Je jetai un œil sur Sydney avant de quitter mon bureau, m’assurant qu’il ne m’observait pas d’un air suspicieux. Pour une fois, ce n’était pas le cas, tant mieux. J’avais tout de même rencontré Jarod deux fois en deux jours, si ça s’était su, j’aurais été dans de beaux draps. Mais surtout, je n’aurais jamais pu échapper à l’interrogatoire de ce chez Sigmund Freud numéro deux. Tout en refermant la porte derrière moi, j’enfonçai dans ma poche le papier que venait de me donner Broots. Je le relirai plus tard.

***

Assise sur le sofa, un verre de whisky non entamé sur la table, je contemplais le mot que m’avait confié Broots. A peine avais-je finis de lire la simple ligne qui s’y trouvait que la réponse me frappa. Il ne s’agissait pas d’un Mr C. mais de M.C, autrement dit, le Major Charles. Mais quel idiot, n’aurait-il pas pu y penser avant ?

Je saisis mon téléphone portable par réflexe, mais le reposai instantanément près de moi. La dernière fois que j’avais parlé à Jarod, c’était pour lui dire que les choses reprenaient leur cours. Lui recherchant sa vraie famille, moi clarifiant les secrets du Centre et de ma famille. Et là, je me retrouvais avec une information sur son père, ne sachant pas si je devais réellement la lui communiquer. Je finis par l’attraper, composant un numéro préenregistré.

“Allo ?’’, fit mon informaticien, la bouche pleine.

“Broots, si je passe un coup de fil sur un téléphone portable, est-ce qu vous seriez capable de le repérer ?’’, lui demandai-je, tout en enfilant ma veste.

“Euh… Oui… Attendez, je vais devant l’ordinateur. C’est bon, allez-y.’’, me permit-il avant que je ne raccroche afin d’appeler Jarod.

J’observai un instant le combiné, m’armant de courage. Je devais le faire, c’était mon travail, c’était pour ça que j’étais payée. Pfff… Quelle mauvaise plaisanterie, je n’avais aucune conscience professionnelle, du moins, pour le Centre. Je me résolus enfin à faire le numéro.

“Parker ?’’

“Jarod… Je sais que je t’ai dit que la trêve était terminée mais…’’, commençai-je avant qu’il ne m’interrompe.

“Tu as du nouveau ? Sur ton passé ou le mien ?’’, questionna-t-il à voix basse, comme s’il avait peur qu’on le repère.

“Sur le tien, si ça m’avais concerné, je ne t’aurais pas appelé.’’, lui fis-je remarquer avec sévérité.

“Ah oui, c’est vrai, j’oubliais, chacun sa quête.’’

“Bon, tu veux savoir ce que je voulais te dire ou non ?’’, m’énervai-je, claquant la porte de mon domicile.

“Bien sûr, excuse-moi.’’, dit-il, reconnaissant peut-être qu’il exagérait.

“C’est à propos de ton père, je pense qu’il est à Blue Cove.’’, l’informai-je, rejoignant rapidement mon véhicule pour échapper à la pluie qui me gelait déjà la nuque.

“A Blue Cove ? Comment le sais-tu ?’’, s’étonna-t-il, diminuant une fois encore le son de sa voix.

“C’est Broots, il s’inquiète dès que Lyle bouge. Il a farfouillé et découvert des mémos et aussi que mon adorable jumeau avait fait un petit voyage à Seattle.’’, expliquai-je, attachant ma ceinture en espérant que Jarod était bien dans le même Etat que nous.

“Alors Lyle est sur la trace de mon père…’’, déduit-il d’un ton grave. “Merci pour ces informations.’’, dit-il avant de raccrocher.

Je téléphonai alors de nouveau à Broots, sachant qu’il avait largement eu le temps de le localiser. Mais ce qu’il m’apprit m’étonna, Jarod se trouvait à NuGenesis. A tous les coups, il voulait en savoir plus sur sa mère biologique, ces idiots avaient bien dû laisser des traces. Un regard dans le rétroviseur et je démarrai en trombe, direction Le Centre pour emprunter un jet, un peu plus d’une heure après, je serais à Atlanta.

***

Chapitre 4


J’éteignis mon portable, le gardant dans la main et laissant mon regard se perdre sur les étagères où s’amoncelaient des montagnes de dossiers. Je n’avais pas le moindre nom alors je ne pourrais faire aucune recherche sur les ordinateurs, leur système de codes et de couleur était tellement décourageant. J’allais certainement passer des heures à fouiller dans toutes ces archives, lisant et relisant des pages et des pages… Bon, plus vite je m’y mettrais, plus vite je trouverais des réponses.

Je m’emparai des premiers dossiers sur la gauche de l’étagère la plus haute, décidant de procéder avec ordre et méthode. Je les posai sur le sol, me disant que ce serait bien plus pratique que sur une petite table bancale. Je soupirai longuement, n’osant même pas ouvrir le premier tellement je manquais de courage et de motivation. Je détaillai chaque ligne, à la recherche du moindre indice se référant à moi, à des inséminations réussies ou à des mères porteuses. Dans une clinique telle que NuGenesis, j’avais l’embarras du choix.

Depuis quelques temps, j’avais réussi à me rapprocher de mon père, alors j’espérais simplement que je n’avais pas perdu totalement l’amour de ma… mère. J’avais été tellement déçu de voir qu’elle avait quitté le domicile de Parker, avant que je ne sois de retour. Même si elle n’était plus ma mère biologique, je l’aimais toujours autant, j’avais tout de même passé plus de 30 ans à la considérer comme telle alors comment se résoudre à la nommer autrement ? Surtout que je venais juste de la retrouver, je ne voulais pas la perdre de nouveau, je ne le supporterais pas. Je reposai parterre le dossier inutile que je feuilletais.

J’étais assis en tailleur, examinant toutes les pages possibles et imaginables, quand un bruit dans le couloir attira mon attention. C’était étrange, car même s’ils avaient intensifiée la surveillance depuis ma toute première intrusion, elle ne s’effectuait que par caméras. Ce n’était donc sûrement pas un agent de sécurité, ou un nettoyeur. Et avant de m’introduire dans… la gueule du loup, j’avais bien pris soin de modifier tous les films, les faisant défiler en boucle assez longue d’environ 15 minutes. Par conséquent, je ramassai plusieurs dossiers plus ou moins intéressants au cas où le besoin de fuir à toutes jambes se ferait sentir.

Je rejoignis la porte, tournant délicatement et sans un bruit la poignée, priant pour que les gonds aient été huilés peu de temps auparavant. Ma crédibilité en tant que génie prendrait un sérieux coup si je me faisais avoir comme le font tous les criminels de bas étage dans les vieux navets multirediffusés de notre chère Amérique. Je glissai la tête dans l’entrebâillement, apercevant une silhouette qui tentait de se dissimuler dans l’ombre des couloirs vides. Je plissai les yeux, essayant de discerner la personne en question quand une seconde débarqua dans la direction opposée.

“Aïe…’’, soupirai-je, me passant une main dans la nuque.

Il fallait que je trouve une solution et la fenêtre en était une. J’attrapai quelques dossiers encore non ouverts au passage puis soulevai la vitre au ralenti. Je ne l’avais pas encore ouverte entièrement quand une voix résonna dans mon dos.

“Jarod ?!’’, s’exclama la personne, manifestement surprise de me trouver ici.

Je me retournai, réalisant peu à peu que je connaissais cette voix. Les chemises que je tenais encore en main une seconde avant s’échouèrent sur le sol, les feuilles de papier virevoltant un instant pour s’éparpiller tout autour de moi. Instinctivement, je me mis à courir, me jetant dans les bras de mon père.

“Alors ? On joue les cambrioleurs fiston ?’’

Je souris une seconde, mais repris rapidement mes esprits.

“Il faut partir, vite !’’, lui ordonnai-je, le saisissant par le bras pour qu’il me suive.

“Mais… Tu as fouillé tous les dossiers ?’’, me demanda-t-il en jetant un œil sur le tas de paperasse qui jonchait le sol.

“Pas tous, j’ai quelques pistes mais il y a quelqu’un dans les locaux. Dépêche-toi, viens !’’, continuai-je en enjambant le rebord de la fenêtre.

Il finit par s’exécuter à contre cœur, amassant lui aussi à son tour quelques pages. Il les glissa dans la poche intérieure de sa veste, s’accrochant à l’encadrement pour me rejoindre. Il s’arrêta dans son élan, fixant l’entrée. Je fis demi tour jusqu’à lui pour essayer de voir ce qu’il observait avec tant d’insistance.

“Tiens, quelle chance ! Les deux pour le prix d’un, le Centre peut toujours rêver pour que je lui fasse un prix de groupe !’’, s’exclama Parker qui approchait en brandissant son arme.

“Je savais bien que j’aurais dû changer de portable…’’, maugréai-je les dents serrées.

“Je t’avais bien dit que les choses reprenaient leur cours.’’, annonça-t-elle, arborant un sourire victorieux.

“Avant que vous ne commencez à vous entretuer, vous voulez peut-être connaître les quelques révélations que j’ai à vous faire…’’, lança mon père en entrant de nouveau dans la pièce, je le suivis tout de suite après.

“Encore ? Vous vous êtes passé le mot dans la famille ou quoi ?’’, questionna Parker en haussant un sourcil.

“Je t’expliquerai.’’, fis-je à mon père en m’adossant à l’encadrement de la fenêtre.

“Bon vous les faites vos révélations ou vous attendez qu le ciel nous tombe sur la tête ?’’, demanda Parker en s’impatientant.

“Je vois que vous n’avez pas du tout changé depuis notre dernière rencontre Mlle Parker.’’, remarqua-t-il en s’asseyant devant la petite table.

Elle répondit d’un bruyant soupir, prenant néanmoins place en face de mon père. Celui-ci posa ses mains sur la table, entremêlant ses doigts et restant silencieux. Je le vis ravaler sa salive plusieurs fois, recherchant apparemment la meilleure façon de débuter la conversation.
Mlle Parker posa un coude devant elle, faisant reposer son menton dans le creux de sa paume. Elle ne quittait pas mon père des yeux, tout comme elle ne desserrait pas son étreinte de son Smith&Wesson.

“J’ai… Tu seras peut-être rassuré de savoir que Gemini est en sécurité, il est ici, avec moi.’’, commença-t-il en se retournant vers moi.

“Merci, c’est une bonne chose.’’, affirmai-je en esquissant un faible sourire reconnaissant.

“Je sais que cela fait bientôt 2 mois que je ne t’ai pas contacté et j’en suis désolé mais tu connais ça… Quand le Centre est après toi, tu perds la notion du temps, tu ne penses qu’à fuir, qu’à mettre ton enfant en sécurité.’’, se justifia-t-il en me suppliant presque de le pardonner.

Mais il n’y avait rien à pardonner, il était bien loin d’être en tort. Il avait pris soin de mon… Clone et ceci excusait toute faute. Je n’aimais pas l’appeler ainsi, mon « clone », je le considérais plutôt comme un frère. Par ailleurs, je ne trouvais pas non plus son « prénom » très approprié, ça fait trop… projet secret.

“Toujours est-il que j’ai reçu ton message et que j’ai fait des recherches.’’, annonça-t-il en fixant de nouveau Parker qui parut soudainement très intéressée.

“Quel message ?’’, interrogea-t-elle vivement.

“Je ne vais tout de même pas te révéler le moyen que j’ai trouvé pour contacter mon père Parker.’’, fis-je en les rejoignant. “Celui où je lui parlais des rouleaux, de maman qui était sur Carthis, de ton arrière grand-père...’’, lui avouai-je enfin.

“Hum…’’, sourit-elle amèrement. “Non mais vas-y, te gènes pas, vas publier un arbre généalogique complet de ma famille sur Internet ! Fais appel aux journalistes pour dénoncer les horreurs dont mon arrière grand et toute son engeance, y compris moi, sommes responsables !’’, s’écria-t-elle subitement, s’élançant à mon cou pour saisir le col de ma veste.

“Du calme Parker, tu vas nous faire repérer !’’, lui conseillai-je avec difficulté, le canon de son arme transperçant littéralement ma peau.

“Mais qu’est-ce que j’en ai à faire ? Je pourrais toujours dire que je suivais ta piste !’’, me nargua-t-elle avec cette voix méprisante que je haïssais tant.

Mon père l’attrapa violement par les épaules, saisit son bras et le recourba dans son dos jusqu’à lui faire lâcher son revolver. Elle grimaçait légèrement, résistant à la douleur qui lui tiraillait les muscles.

“C’est bon ! J’l’ai lâché maint’nant !’’, s’énerva-t-elle, essayant en vain de se débattre.

Papa me jeta un regard interrogateur, me demandant la permission de la libérer. J’acquiesçai d’un signe de tête, réajustant mes vêtements légèrement froissés.

“Sortons, c’est trop risqué de rester ici.’’, indiquai-je en ouvrant la marche.

Je tournai la tête vers l’intérieur du bâtiment quand je fus dehors. Mon père était en train de rendre l’arme qu’il avait subtilisée à Parker. Elle s’en empara et après quelques secondes de réflexions, elle se décida enfin à la replacer dans son holster. Ce geste eut pour effet immédiat de me soulager. Ce n’était pas que je craignais qu’elle s’en serve mais… on ne sait jamais à l’avance ce qu’elle est prête à faire. C’est uniquement quand elle agit que l’on se rend compte si oui ou non on a eu raison de lui accorder sa confiance.

Je tendis la main, offrant mon aide à Parker qui sortait à son tour. Elle l’ignora royalement, sautant avec agilité sur le petit chemin de pierres qui passait sous le rebord de la fenêtre. Il était évident qu’avec de tels talons aiguilles, il aurait été imprudent d’atterrir dans le parterre de fleurs et encore plus risqué si je me trouve dans les parages à ce moment-là…

“Où va-t-on ?’’, questionna Parker en rabattant le col de sa veste.

“Tu n’as pas dit que Gemini était avec toi ?’’, demandai-je à mon père qui marchait à mes cotés.

“Tu es sûre que… Enfin, avec Mlle Parker…’’, me chuchota-t-il à l’oreille.

“Qu’en penses-tu Parker ? On peut te faire confiance ? On ne risque pas de se retrouver avec une équipe de nettoyeurs débarquant au petit matin, armés jusqu’aux dents ?’’, fis-je à haute voix, afin qu’elle m’entende.

Elle marchait derrière nous, certainement en profitait-elle pour nous détailler, s’attendant à une entourloupe. Elle accéléra pour se mettre à notre hauteur, tournant son visage vers le mien. Elle sourit telle un prédateur apercevant sa proie, ce qui, même après toutes ces années, me donnait toujours aussi froid dans le dos.

“Mais tu sais bien qu’on ne peut jamais prévoir mes réactions Jarod.’’, commença-t-elle d’un ton qui se voulait supérieur. “Bien sûr que je ne vais pas risquer la vie d’un enfant abruti !’’, finit-elle avec une extrême… gentillesse.

“Ma voiture est là-bas.’’, nous informa mon père en pointant du doigt une Ford noire.

Parker tourna la tête, la main sur son Smith&Wesson. Elle surveillait les alentours avec attention, à l’affût du moindre bruit suspect. Sa réaction m’inquiéta, avait-elle remarqué quelque chose d’anormal ?

“Que se passe-t-il Parker’’, demandai-je à voix basse.

“Je ne sais pas, j’ai cru que j’avais entendu des pas derrière nous.’’, murmura-t-elle, toujours prête à dégainer son arme en cas de danger.

“Tu n’as dit à personne que tu étais là ?’’, m’alarmai-je.

“C’est Broots qui t’a repéré mais je ne pense pas qu’il aurait alerté Le Centre. Par contre, il y a le pilote du jet…’’, soupira-t-elle. “Mais il ne sait pas pourquoi je suis ici, et puis il sait très bien ce qu’il risque s’il trahit ma confiance.’’, ajouta-t-elle avec un regard qui en disait long.

Les clignotants émirent de la lumière, Papa venait de déconnecter l’alarme avec la petite télécommande de son porte clé. J’ouvris la portière arrière droite pour Mlle Parker mais au moment où elle allait entrer dans la voiture, des coups de feu retentirent. Tous deux nous accroupîmes entre les deux véhiculent qui nous entouraient. Parker ripostait, les coudes appuyés sur le capot arrière tandis que je faisais le tour pour rejoindre mon père.

Quand j’arrivai du coté conducteur, il était étendu sur le sol, une main appuyée sur le torse. Je m’agenouillai, compressant sa plaie pour l’empêcher de se vider de son sang. Le cœur était certainement touché, il était déjà considérablement affaibli et parvenait à peine à parler. Il essaya de me dire quelque chose mais je ne le compris pas tout d’abord, je penchai alors près de sa bouche.

“Gemini…’’, souffla-t-il en me montrant une carte magnétique. “Cherchez Eldumba…’’, balbutia-t-il dans un dernier souffle, m’abandonnant à jamais cette fois.

Mes larmes se mêlaient à son sang, maculant ses vêtements qui collaient à sa peau. Je soutenais encore sa tête d’une main et appuyant sur sa blessure de l’autre. Je savais pourtant au fond de moi qu’il n’y avait plus rien à faire mais je ne pouvais pas m’y résoudre. Les échanges de tirs qui continuaient autour de nous deux s’intensifiaient, Parker ne résisterait pas longtemps avec deux chargeurs.

“Il faut se barrer, vite !’’, ordonna-t-elle en arrivant de mon coté.

Elle attarda son regard sur le corps de mon père pendant quelques secondes. Ses yeux se posèrent ensuite sur moi, chargés d’une émotion qui m’étreignit le cœur. Je ne pensais pas qu’elle était capable de ressentir de la compassion. Enfin si, bien sûr que si, mais c’était si rare… Je le serrais maintenant dans mes bras, refusant de le lâcher, refusant de partir en le laissant là, gisant sur le sol. C’était bien trop dur…

Parker termina son chargeur sur nos assaillants qui approchaient dangereusement. Dans peu de temps, ils nous encercleraient et la fuite serait difficile. Parker ramassa les clés qui avaient échappées à mon père quand il avait été touché. Elle me les tendit et voyant que je ne me décidais pas à les attraper, me les colla dans la main.

“Dépêche-toi, je dégage la route !’’, me lança-t-elle en me tournant de nouveau le dos.

A contre cœur, je déposai avec douceur la tête de mon père sur le sol bétonné. Je me rappelai qu’il avait pris des dossiers avec lui alors j’ouvris sa veste et les récupérai. Je m’installai ensuite au volant et mis le contact, Parker monta à l’arrière et j’écrasai l’accélérateur pour nous tirer le plus vite possible de ce guêpier.
Une balle fit exploser le pare-brise arrière alors j’enfonçai ma tête dans les épaules, de peur de me faire toucher. Parker tira sa dernière balle et une fois qu’on avait quitté le quartier, elle passa à l’avant.

***

Cela faisait bien un quart d’heure que je roulais à toute allure. Parker m’avait confirmé que les nettoyeurs étaient bien en compagnie de Lyle, comme j’avais cru le remarquer au moment où ils avaient ouvert le feu.
Nous avions atteint le centre ville d’Atlanta et recherchions l’hôtel Clearview d’où la carte magnétique provenait.

Je m’arrêtai à la hauteur d’un passant et il m’indiqua la rue que nous cherchions. Quelque minutes après, nous nous garions dans le parking approprié. Nous descendîmes du véhicule pour nous diriger vers les escaliers mais je m’aperçus que j’avais oublié les dossiers dans la voiture. Je fis donc demi tour pendant que Parker continuait toute seule. J’ouvris la portière du coté passager pour attraper les fameux dossier sur le tableau de bord quand une sombre marque attira mon attention. Elle se trouvait sur le siège de Parker, ça avait la couleur et l’odeur du sang, elle avait été touchée et elle ne m’avait rien dit. Pourtant, ce devait être relativement grave car il ne s’agissait pas que de simples gouttes mais plutôt d’une vraie flaque de sang.

Je fermai la portière et me dépêchai de la rejoindre. Elle se trouvait à la hauteur du 2ème étage, recherchant la chambre où était resté Gemini. Elle était vêtue d’un manteau et d’un pantalon noir tous les deux, raison pour laquelle je n’avais pas remarqué qu’elle était blessée. Quand j’arrivai près d’elle, elle ôta la main qu’elle appuyait sur la droite de son ventre encore une seconde avant.

“Est-ce que ça va Parker ? Tu as mal quelque part ?’’, m’inquiétai-je quand elle se tourna vers moi.

“A part le fait que je n’ai aucune idée de la raison pour laquelle je suis ici, tout va pour le mieux.’’, répondit-elle, feignant l’exaspération et ignorant la douleur qui devait lui déchirer le ventre.

Je l’observai avec un regard insistant, m’attardant sur les petites égratignures qu’elle avait au visage. Ils devaient provenir du pare-brise, mais ça ne semblait pas très grave.

“Je vais bien d’accord ?’’, s’exclama-t-elle en espérant que je lui fiche la paix, mais elle savait qu’il en faudrait plus.

J’abandonnais pour le moment, la mort de mon père m’avait secoué. Je ne m’attendais pas à le retrouver ce soir-là et à le voir mourir dans mes bras. J’avais tellement l’impression que le bonheur m’était interdit. A chaque fois que j’approchais du but, de ma famille, les uns après les autres, ils m’étaient retirés. Cette solitude était si pesante, si douloureuse.

J’inspirai profondément, tentant de retrouver une certaine contenance pour affronter Gemini et la souffrance que l’allais lui causer. Parker s’arrêta devant une porte, la numéro 22.

“C’est ici. Je… Je vais vous laisser seuls, je remonterai dans une heure.’’, me dit-elle avec une douceur que je ne lui connaissais pas.

“Non… Je préfère que tu restes, s’il te plaît.’’, demandai-je, sans trop savoir pourquoi je voulais sa présence à mes cotés.

Elle hocha faiblement la tête avant que je ne frappe à la porte. Il était déjà un peu plus de 23h, j’espérais que je n’allais pas en plus le réveiller. La poignée tourna et Gemini apparut, ouvrant de grand yeux ébahis.

“Jarod ?’’

“Je suis désolé de venir à cette heure-ci… Je…’’, commençai-je avec hésitation.

“Entre.’’, fit-il en ouvrant la porte en grand.

Il aperçut alors Mlle Parker et ne su comment réagir. Il tourna alors la tête vers moi, comme pour me demander la permission. Mon père avait dû lui expliquer la situation à sa manière, comme quoi Sydney, Broots Raines, Lyle et toute la clique étaient les méchants, Mlle Parker incluse. Mais les faits étaient bien plus compliqués, seuls nous deux le savions mais ne voulions pas l’avouer.

Nous nous installâmes dans le sofa, Parker à coté de moi et Gemini en face de nous, sur le rebord de l’un des deux lits.

“Mais comment m’avez-vous retrouvé ? Papa va être fou de joie quand il va rentrer et te trouver ici !’’ s’exclama-t-il avec un sourire qui s’effaça quand son regard rencontra le mien, triste et perdu.

“Et bien… Justement… Nous avons vu papa, il était à NuGenesis.’’, fis-je en cherchant mes mots.

“Oui, il voulait voir s’il trouverait des dossiers, des pistes à exploiter pour te retrouver.’’, nous informa-t-il, attendant que je lui explique enfin ce qui s’était passé.

“Des nettoyeurs du Centre sont arrivés et…’’, m’interrompis-je, une boule dans la gorge.

“Ne vas pas plus loin. J’ai compris, ils l’ont tué n’est-ce pas ?’’, demanda-t-il, les yeux brillants de larmes.

“Je suis désolé.’’, dis-je, me mettant également à pleurer.

“Tu sais, il me considérait vraiment comme son fils à part entière et… Il m’a toujours dit de te considérer comme mon frère.’’, murmura-t-il, une larme glissant doucement le long de sa joue.

Je me levai et marchai lentement jusqu’à lui, ne sachant si j’avais raison de faire ou non ce que je m’apprêtais à faire. Parker me suivait du regard, elle n’en menait pas large elle n’ont plus, quoi qu’elle en dise. Je m’assis à coté de Gemini, passant un bras fraternel sur son épaule, il reposa sa tête sur moi, comme si ce que nous faisions était tout à fait naturel.

Je fermai les yeux une seconde, essayant de résister à l’envie de moi aussi me laisser aller. Quand je les rouvris, Parker avait disparu. Je relevai alors la tête, à sa recherche et remarquai que la porte fenêtre était ouverte. Le vent faisait danser les rideaux, rafraîchissant la pièce et faisant voler quelques feuilles de papier.

Je frottai gentiment le dos de Gemini, il essuya tant bien que mal les pleurs qui marquaient son visage. Tous les deux ne disions mots, que dire sur tout ça d’ailleurs ? Nous ne nous connaissions pas réellement même si nous étions des copies conformes en tous points. Physiquement, nous étions les mêmes mais à l’intérieur, dans notre cœur, notre âme… Tout était complètement différent. Nous n’avions pas la même histoire, j’avais vécu 30 ans au Centre, lui y était né. J’avais été élevé par Sydney, c’était ce qui m’avait sauvé, ce qui m’avait empêché de devenir foncièrement mauvais et d’oublier ma famille. Sydney m’avait appris ce qui était bon, l’honnêteté, la justice, il m’avait inculqué des valeurs, comme mes parents l’auraient fait s’ils avaient pu.

Mais Gemini… Elevé par Raines, comment avait-il fait pour ne pas sombrer ? Comment ne pas céder à tant de froideur, de machiavélisme ? Ca restait encore un mystère pour moi.

“Où est-il ?’’, demanda-t-il soudainement.

“Euh… Je suis désolé, nous n’avons pas pu l’emmener, Lyle et ses nettoyeurs nous tiraient dessus.’’, répondis-je devant son visage déçu et triste. “J’essaierai de récupérer son corps, on l’enterrera comme il se doit, même si je dois retourner au Centre pour cela.’’, lui assurai-je en le regardant droit dans les yeux, comme pour être encore plus persuasif.

“Vous n’avez rien ?’’

“Comment ça ?’’

“Bah, tu as dit qu’on vous avait tiré dessus. Mlle Parker avait des marques au visage.’’, souligna-t-il en s’inquiétant pour elle.

“Oui…’’, murmurai-je, me souvenant subitement qu’elle ne s’était toujours pas soignée. “Je vais voir si elle va bien.’’, lui dis-je en m’éloignant.

Encore une réaction que je ne comprenais pas. Pourquoi se souciait-il de Mlle Parker ? Après tout, elle devait représenter le danger pour lui, le Centre… Cette pensée m’amena jusqu’au balcon où se trouvait Parker. Elle était accoudée à la rambarde, observant les voitures qui défilaient à vive allure sur la deux fois deux voies. Elle était quelque peu courbée en avant mis se redressa rapidement, comme si de rien n’était quand elle s’aperçut de ma présence.

“Est-ce que ça va aller ?’’, s’enquit-elle, remarquant peut-être que j’avais pleuré.

Je hochai la tête avant d’adopter la même position qu’elle. Elle avait eu beaucoup de possibilités de me ramener au Centre, ce qu’elle n’avait pas fait, je lui accordais alors toute ma confiance. On avait besoin l’un de l’autre pour découvrir des secrets sur nos familles respectives, c’est ce qui nous avait de nombreuses fois empêché de nous entretuer. Enfin, je disais ça… Mais ni elle ni moi n’aurions réellement la force, l’envie ou le courage de blesser l’autre volontairement, que ce soit du point de vu corporel ou mental. Nous étions chacun la porte de sortie de l’autre, la bouée de secours qui permettait de garder la tête hors de l’eau, de respirer et enfin de survivre dans ce monde empli de requins.

“Parker…’’, commençai-je avant qu’elle ne pose cet insondable regard azur sur moi.

Je fus littéralement déstabilisé, elle m’avait regardé comme si… Comme si elle s’inquiétait pour moi, comme si ce que j’allais lui demander avait une impensable valeur à ses yeux, que c’était d’une importance capitale. Elle ne m’avait jamais vraiment observé d’une telle manière. Elle le faisait plutôt de façon intéressée, comme si ce que j’allais lui dire pouvait lui rapporter quelque chose, lui servir à elle seule, sans se soucier de moi mais là… Un simple regard et elle parvenait à me dérouter, elle était vraiment incroyable.

“J’ai vu qu’il y avait du sang sur le siège passager, est-ce que ça va ?’’, parvins-je enfin à lui demander en contrôlant le plus possible le ton de ma voix.

“Ca va, je ne suis pas en porcelaine Jarod !’’ affirma-t-elle en levant les yeux au ciel. “Ce n’est qu’une égratignure, demain on ne verra plus rien.’’, promit-elle en rentrant de nouveau dans la chambre.

Je la suivais mais au moment où elle passa la porte, je la vis perdre l’équilibre. De peur qu’elle ne se fasse mal, je me jetai sur elle pour la rattraper au vol. Elle se releva néanmoins sans mon aide, évitant la chute de justesse.

“C’est la fatigue. Je vais voir à la réception s’il leur reste une chambre.’’, fit-elle en se soutenant le ventre.

Cette fois, c’en était trop. Je me mis presque à courir, me plantai devant elle, raide comme un piquet et bien décidé à ne pas la laisser sortir.

“Parker, arrête de me prendre pour l’abruti que je ne suis pas.’’, lui ordonna-je, m’emparant de ses mains. “Maintenant, tu viens là et tu me montres cette blessure avant qu’elle ne s’infecte et que ton petit numéro de Super Woman ne prenne fin dans des circonstances peu joyeuses.’’, commandai-je en la faisant s’asseoir sur le second lit, près de la porte.

Elle était exaspérée, je le savais bien mais je n’en avais que faire. Elle avait le don de jouer les femmes outrées et peu coopératives mais avec moi, ça ne marcherait pas, je ne me laisserais pas faire.

“Montre-moi ça.’’, exigeai-je plus que je ne le lui demandai.

Après un long soupir destiné à me faire céder, mais qui fut sans résultat, elle finit par ôter son manteau. Ce fut à mon tour de soupirer, son chemisier bleu ciel était maculé de sang. La tâche devait bien faire 15 bons centimètres de diamètre.

Elle baissa la tête, se rendant certainement compte que son état était plus préoccupant que ce qu’elle croyait. Elle défit les trois derniers boutons, soulevant le tissu trempé et découvrant une plaie étendue.

“Allonge-toi, je ne vois rien.’’, lui dis-je en rapprochant un oreiller pour sa tête.

Sans trop rechigner –elle savait que j’avais raison- elle s’exécuta pendant que j’allais chercher de quoi la soigner dans la salle de bain. Je ne trouvai que du désinfectant et une boîte de pansements. Mais quand je fus de retour dans la pièce, Parker m’informa que Gemini était descendu à l’accueil pour chercher une trousse de premiers secours. Ce n’était pas un Caméléon pour rien !

Je trouvai cependant des mouchoirs et commençai à nettoyer soigneusement le contour de la plaie. Parker m’impressionnait tellement par le contrôle qu’elle avait d’elle et de ses émotions. Elle ne broncha pas une fois là où j’aurai sursauté –voir gémi- à cause de la douleur. Quelques minutes après, Gemini m’apporta de quoi lui procurer des soins bien plus appropriés.

“Il n’y a pas de morphine mais il y a de quoi te recoudre.’’, l’informai-je après avoir ouvert la boîte.

“Il doit bien avoir un mini bar dans cette chambre.’’, questionna-t-elle, perspicace.

“Vodka, Gin…’’, commença à énumérer Gemini en lisant les étiquettes des petites bouteilles.

“Vas-y, apporte tout. Je suis même pas sûre qu’il y aura assez pour me rendre KO.’’, maugréa Parker en prenant appuie sur ses coudes.

Elle engloutit au moins 4 ou 5 petites fioles avant de reprendre sa position allongée sur le dos. Sa blessure n’était pas profonde, la balle l’avait effleurée, mais elle était surtout étendue. Je jetai un œil sur Parker avant de la recoudre, elle me fit un signe de tête pour me permettre de la soigner. La pauvre, ça risquait d’être douloureux, elle était à peine éméchée, même après la bonne dose d’alcool qu’elle venait d’ingurgiter.

En quelques minutes et quelques « aïe » de la part de ma patiente, la plaie était refermée, désinfectée et pansée. Cette dernière s’assit sur le lit, pas tout à fait remise de ses émotions. C’est là qu’un problème se posa… Allez faire comprendre à une Parker quelque peu… Délurée, qu’il est mieux pour elle de dormir dans la même chambre que vous, simplement pour vérifier régulièrement que la blessure de se rouvre pas… Ce n’était pas chose facile.

***

Chapitre 5


Il m’attrapa les pieds et m’obligea à m’allonger sur le dos. J’essayai de lutter un instant mais ma douleur au ventre m’en empêcha rapidement alors je me résolus à l’écouter. Je me tournai sur le coté et me glissai sous les couvertures, toute habillée. Je sentis son regard sur moi puis perçus un léger sourire. Et en quelques secondes, je m’endormis, comme assommée.

***


J’ouvris un œil, puis deux… Je parcourus la pièce du regard et m’assis tant bien que mal sur le bord du lit. J’entendis des voix dans mon dos et quand je me retournai, Gemini et Jarod étaient en train de bavarder sur le balcon. Je mis une main devant mon visage, essayant de me protéger de cette lumière qui m’agressait dès le matin.

Je me levai, décidant de les rejoindre afin de savoir de quoi ils discutaient. S’ils avaient quoi que ce soit de nouveau, je voulais également le savoir. Tout en marchant, je reboutonnai ma chemise jusqu’en bas et passai mes doigts dans mes cheveux, histoire de me rendre plus présentable. Quand j’arrivai sur la terrasse, ils remarquèrent enfin ma présence.

“Parker, est-ce que ça va ? Tu devrais peut-être te reposer encore un peu.’’, s’inquiéta Jarod, certainement devant la tête de déterrée que je devais avoir.

“Ca va, la seule chose qui me fait mal, c’est ma tête.’’, répondis-je en plissant les yeux.

Je m’assis en face de Gemini, ils étaient en train de feuilleter les dossiers que Jarod avait rapportés. Tandis que l’adolescent avait le nez plongé dans un tas de pages, Jarod ne me quittait pas du regard. Qu’est-ce qu’il avait encore ? Il réfléchissait, il pensait à moi ou à quelque chose que j’avais fait, mais quoi ?

“Je peux savoir ce qui te prend ?’’, demandai-je, excédée.

“Je savais bien qu’au fond de toi tu était comme ta mère.’’, dit-il simplement, croisant ses bras sur son torse et s’adossant à sa chaise.

Il me fixait toujours, je dirais même qu’il me dévisageait. Il essayait de lire en moi, chose que je détestais avec lui car il parvenait toujours à des conclusions étranges. Je haussai un sourcil, l’invitant à s’exprimer sur le sujet, je ne voyais pas en quoi mes récentes réactions pouvaient le faire penser à ma mère.

“Oh, j’ai un peu bavardé avec mon p’tit frère.’’, lança-t-il en souriant à Gemini.

Okay, okay… Je voyais à quoi ils faisaient allusions tous les deux. Les petits salopards, ils n’y avait plus aucun doute, ils étaient bien tous les deux les mêmes… Je levai les yeux au ciel, ne gaspillant même pas ma salive à tergiverser avec ce genre d’énergumènes, trop contents de leur résultat. Ils étaient fiers d’eux, de vrais mâles en manque de pouvoir et de domination. C’était tout ce qu’ils étaient, et ils ne gagneraient pas à ce petit jeu.

“Allez-y, mettez-moi au parfum.’’, dis-je en m’emparant du café que venait juste de se servir Jarod.

“Et bien, d’après ces dossiers, NuGenesis avait les mêmes pratiques que le Centre. Pour créer Gemini, ils ont inséminé des centaines de femmes, dans le coma, des femmes sans familles, abandonnées… Il apparaît que NuGenesis a choisi une patiente de l’Hôpital St Mattews de Dover pour être ma mère porteuse.’’, m’annonça-t-il, gardant exactement la même position et arborant un air assuré.

“Mais… Est-ce que… Tu connais ta date de naissance ?’’, questionnai-je, à la fois troublée et rassurée qu’il découvre peu à peu ses racines.

“Le 3 janvier.’’, déclara-t-il de but en blanc.

Je crus alors que j’allais m’étouffer. Le 3 janvier ? C’était une plaisanterie ? Quelques jours avant je croyais que c’était mon cousin, et là, on me disait qu’il était né le même jour que moi… Et chacun savait pertinemment que « coïncidence » n’existait pas dans nos vies.

“Le… 3 janvier ?’’, répétai-je laconiquement.

“Tout juste un an avant toi, ne t’inquiète pas.’’, me rassura-t-il, se rendant compte de mon état.

Je soupirai longuement, posant ma tête dans mes mains. Un poids terrible venait de m’être retiré et ma gorge me permettait enfin de respirer convenablement.

“Et, tu sais ce qu’elle est devenue ? Comment s’appelait-elle ?’’, questionnai-je, me montrant peut-être plus intéressée que je ne l’aurais dû.

“Tiens…’’, fit-il en déposant le dossier devant moi sur la table avant de retourner dans la chambre.

“Rebecca Glasser est décédée d’une leucémie, 6 mois après la naissance de Jarod.’’, m’informa Gemini en baissant la tête.

Je baissai moi aussi le regard, déçue par ces nouvelles peu réjouissantes. A chaque fois que l’on approchait de nos buts, que l’on touchait à la vérité, tout se dérobait sous nos pieds. Jarod avait raison, on voulait absolument découvrir nos passés respectifs, soulever tous ces mystères sur nos origines… Mais devions-nous réellement le faire ? Etait-ce vraiment une si bonne idée de fouiller, retourner le passé comme nous le faisions ? Tout ce que nous apprenions nous détruisait la plupart du temps, ces découvertes nous blessaient au plus profond de nous-même… Mais pourtant. Pourtant nous nous obstinions à étancher cette soif de réponses, nous nous efforcions d’en savoir toujours plus. C’était plus fort que nous, comme une force invisible qui nous poussait à en savoir toujours plus, à ouvrir des portes, à poser des questions qui dérangeaient…

“Gemini ?’’, appela Jarod en réapparaissant derrière lui.

“Oui Jarod ?’’

“Eldumba, ça te dit quelque chose ?’’, l’interrogea-t-il en reprenant sa place, à ses cotés.

“Vous ne le connaissez pas ?’’, s’étonna-t-il en se tournant vers moi.

J’haussai les épaules en signe d’incompréhension. Et puis, d’où sortait-il ce nom d’ailleurs ? J’observai Jarod qui ne semblait pas plus au courant que moi à propos de cet homme, ce qui me rassura quelque peu.

“Si je vous dis Adama, Matumbo… Triumvirat…’’, nous mit-il sur la piste.

“C’est la troisième tête du Triumvirat ?’’, devina Jarod en s’approchant de Gemini qui hocha la tête.

Nous ouvrîmes tous deux de grands yeux, surpris d’apprendre de sa bouche une telle information. Il faut dire que je ne m’étais jamais réellement attardée sur la question, connaître la hiérarchie du Triumvirat n’est pas une occupation des plus passionnantes !

“Mais comment le sais-tu ?’’, s’enquit Jarod.

“C’est papa qui me l’a dit. Ca fait longtemps qu’il le sait, grâce à Margaret. C’est votre mère qui le leur a dit.’’, expliqua-t-il en me désignant.

Je restai bouche bée, ce gamin était sur l’affaire depuis beaucoup moins de temps que nous mais en savait déjà bien plus !

“Où as-tu entendu parler de cet Eld.. Eldimbo ?’’, demandai-je, complètement… larguée, oui, c’était le mot.

“Eldumba, c’est Papa qui m’en a parlé. A priori, il doit avoir de l’importance pour nous.’’, conclut-il sous ma mine désabusée.

“C’est bien mignon mais on cherche où et comment maintenant ?’’

“A mon avis, il n’y a pas 36 solutions, un petit voyage du coté de l’Afrique s’impose.’’, suggéra-t-il, un sourire en coin.

“Bon, alors je sens que je vais vous laisser, si vous n’y voyez pas d’inconvénients…’’, murmurai-je, préférant rester en terrain connu.

“Tu oublies un détail Parker.’’, m’interpella Jarod alors que je me dirigeais vers la porte.

“Explique-toi.’’, l’invitai-je en croisant les bras.

“Euh… Lyle, ça ne te rappelle rien par hasard ?’’, questionna-t-il pour me faire remarquer quelque chose.

Il en avait de bonnes lui ! C’était mon frère, un cannibale à 9 pouces sans grand intérêt. Mais pourquoi me parlait-il de lui ?

“Bon, vas-y, traduis…’’, m’impatientai-je d’un signe de main.

“Il t’a vue répliquer à ses tirs dans le parking hier soir. Si tu retournes au Centre, je ne suis pas sûr que tu en ressortiras vivante, dois-je te rappeler que tu as aidé le Caméléon à se faire la belle ?’’, souligna-t-il alors que je portais ma main à ma bouche.

Et merde ! Il avait complètement raison, comment avais-je pu oublier ça ? Je pinçai ma lèvre inférieure, essayant de trouver une alternative. Pourquoi l’avais-je aidé ? Désormais, la mise avait changé du tout au tout, je ne pouvais même plus retourner à Blue Cove. Qu’allais-je faire ? En une soirée, en une décision, j’avais tout perdu. J’avais perdu cette stabilité que j’avais mis tant de temps à trouver dans ma vie, j’avais perdu tout contrôle des évènements et des gens qui m’entouraient. Que devais-je faire ?

Je passai une main dans ma nuque, sentant ma migraine qui persistait et avait même tendance à s’intensifier. Jarod se pencha, glissant une main sous l’un des lits. Quand il se redressa, ce fut pour me tendre un sac en plastique. Je l’observai, dubitative, mais finis par m’en emparer.

“Je suis allé faire quelques petite courses pendant que tu dormais.’’, m’expliqua-t-il alors que je découvrais un pantalon en jean, un débardeur et une veste en cuir.

“Oui, je vois ça…’’, murmurai-je, me demandant encore comment il connaissait mes mensurations.

“Parker, je le sens, je sais que nous aurons des réponses si nous nous allions dans cette quête.’’, me supplia-t-il presque, s’approchant de moi pour me faire face.

“De toute façon, tu sais très bien que je n’ai pas le choix. Tu obtiens toujours ce que tu veux.’’, lui fis-je remarquer avant de m’enferme dans la salle de bain.

***

Je déverrouillai la porte et sortis de la petite pièce encre embuée. Jarod et Gemini étaient de nouveau en pleine discussion alors je m’approchai sans bruit. L’adolescent lui promettait qu’il allait rester ici et faire attention à lui. Il allait laisser son frère tout seul ici ?

“Jarod ?’’ l’interpellai-je en m’installant sur le lit.

“Oui ?’’

“Tu ne comptes pas le laisser seul ici tout de même ?’’, m’inquiétai-je en baissant la voix.

“Parker, c’est un grand garçon, un Caméléon qui plus est. Nous serons de retour dans quelques jours.’’, essaya-t-il de me rassurer.

“Jarod, il n’a pas ton expérience en matière de… fuite. Nous allons en Afrique, de là, nous ne pourrons rien si le Centre le menace. Je n’aurai aucun contrôle sur Lyle ou Raines.’’, dis-je en tentant de le raisonner.

“Il y a Sydney et Broots, je leur ai téléphoné.’’, argumenta-t-il sous mon regard plus que perplexe. “Et puis tu préfères quoi ? Qu’il reste caché ici, aux Etats-Unis, un pays qu’il connaît un peu ou qu’il nous suive jusqu’en Afrique, près à ce jeter dans la gueule du loup ? Il sera beaucoup plus en sécurité ici.’’, jugea-t-il en se mettant debout.

De toute façon, il avait déjà pris sa décision et rien de ce que j’aurais pu lui dire n’aurait modifié son point de vue. Il allait rejoindre Gemini quand il s’arrêta brusquement, pivotant sur lui-même. Il plissait les yeux, pensif. Qu’allait-il encore me sortir ?

“Dis-moi, comment se fait-il que tu tiennes tant à Gemini, c’est mon frère après tout.’’, questionna-t-il sur un ton qui se voulait innocent.

“Euh...’’, émis-je, me sentant prise au piège. “Excuse-moi de me soucier de ta famille !’’, rétorquai-je, sachant très bien qu’il allait tirer des conclusions qui ne me plairaient pas.

“Oh ! Merci.’’, répondit-il simplement en se retournant.

Rhaa… Ce qu’il pouvait m’énerver quand il jouait à ce petit jeu. Je soupirai, me retrouvant toute seule dans la chambre. A chaque fois il parvenait à tourner les situations à son avantage, quoi que je dise, quoi que je fasse. Comment lutter contre un génie ? Pour le moment, je n’avais toujours pas la solution miracle.

Je le vis ensuite prendre Gemini dans es bras, ils se donnèrent une tape amicale sur l’épaule. Tous les deux se séparèrent ensuite à contre cœur. J’étais presque triste pour eux, ils devaient déjà se dire au revoir.

Il passa à coté de moi en esquissant un petit sourire moqueur auquel je ne répondis pas. Il prit un ordinateur portable, un sac de voyage qui appartenait au Major Charles et d’autres appareils informatiques.

“Je vais à la voiture, tu me rejoins quand tu es prête.’’, m’informa Jarod avant de fermer la porte derrière lui, me laissant plantée là, au beau milieu de la pièce.

Je tournai la tête, me retrouvant nez à nez avec Gemini. Il avait exactement le même regard que Jarod, à son âge, ils étaient parfaitement identiques. Je ne savais pas comment me comporter avec lui. Le Major Charles avait pu lui raconter tellement de choses, de mensonges, de vérités –ce qui était presque pire que des mensonges- à mon propos.

“Vous savez, le Major Charles m’a dit de me méfier de vous si je vous rencontrais.’’, m’annonça-t-il, comme s’il lisait dans mes pensées.

“Je ne peux pas lui en vouloir, parfois, je me demande moi-même dans quel camp je suis.’’, reconnus-je en essayant de sourire, en vain.

“Je sais que vous n’êtes pas mauvaise, c’est évident. Je le sais depuis le premier jour où je vous ai rencontrée. Vous êtes la première personne à m’avoir traité comme un être humain. C’est vous qui m’avez fait découvrir la chaleur et la confiance, quand vous m’avez pris dans vos bras et que vous m’avez dit que vous ne laisseriez personne s’en prendre à moi.’’, me confia-t-il timidement, faisant naître des larmes aux coin de mes yeux.

“Merci, tu ne peux pas savoir combien tes paroles sont importantes à mes yeux.’’, lui avouai-je, retenant mon émotion avec difficulté, il fallait toujours que je fonde avec les enfants.

“Dites à Jarod que je m’occuperai de notre père avec Sydney et Broots.’’, me demanda-t-il alors que je fronçais les sourcils. “Oui, ils nous ont dit que les agents du Centre avaient rapporté un corps pour l’examiner.’’, m’expliqua-t-il pour m’éclairer.

Je hochai la tête, décidée à m’en aller cette fois-ci. Mais quelque chose, ou plutôt une main, me retint dans mon élan. Je baissai les yeux, il tenait ma main, m’obligeant à me retourner. A peine avais-je fait demi tour qu’il s’était collé à moi, me serrant contre lui. Sa tête était appuyée contre mon épaule et j’avais placé ma main droite dans ses cheveux, les caressant doucement. Nous restâmes ainsi pendant une bonne minute avant de nous séparer. Il passa ses doigts sur ma joue pour essuyer une larme qui m’avait échappé. Je souris un instant puis m’éloignai, tenant dans ma main le portable qu’il venait de me confier. Et voilà, je m’attachais à un membre de la famille de Jarod, j’avais vraiment le don de compliquer les situations…

***

Afrique, nous voilà ! Quelle humidité. C’était la première remarque qui me m’était venue à l’esprit en posant les pieds sur le tarmac de l’aéroport Ndolo de Kinshasa. Sept heures d’avion, le même temps de décalage horaire. Pour nous il était 19h mais en réalité, il était 2h du matin.

“Nous allons à l’hôtel et dès demain matin, il faut trouver le Triumvirat.’’, chuchota Jarod à mon oreille.

Parfait, déjà qu’aux Etats-Unis il fallait surveiller les murs autour de nous, il faudrait redoubler de vigilance ici et ne faire confiance à personne. Mais comment trouver cet… Eldumba, sans poser de questions ? Je sentais que Jarod allait y aller à l’instinct, mais avions réellement le choix de toute façon ?

Je le suivis sans un mot, tout comme je l’avais fait au cours de notre petit voyage. Nous travaillions ensemble pour découvrir des réponses mais cela n’impliquait pas qu’on devait s’entendre comme des meilleurs amis. Et que Jarod ne compte pas sur moi pour faire le moindre effort, c’était lui qui m’avait fichu dans cette situation. Je n’avais même plus les moyens de me retourner, je n’avais plus rien, plus personne.

***

Je posai mon sac sur le lit, rejoignant la fenêtre. Je poussai la poignée pour l’ouvrir en grand afin d’obtenir un peu de fraîcheur et d’aérer cette pièce refermée. Je soupirai longuement, observant l’horizon et les quelques lumières qui illuminaient encore la ville à cette heure.

Je me débarrassai ensuite de ma veste qui alla s’échouer au pied de mon lit, juste avant que je ne m’écroule sur le mince matelas. Je passai mes bras derrière ma tête, fixant les craquelures qui parcouraient le plafond. Mais qu’est-ce que je fichais ici ? Ce Caméléon avait décidément une étrange influence sur mes choix, mes réactions…

Je m’assis sur le bord du lit, déboutonnant mon pantalon quand la porte de la chambre s’ouvrit brusquement. J’eus juste le temps de m’arrêter en cours de route avant de voir débarquer Jarod devant moi. Je ne pu me retenir et éclatai de rire sous sa mine déconfite.

“Mais qu’est-ce que tu fiches ici… dans cette tenue ?’’, parvins-je à lui demander, sans lâcher mon pantalon.

“Et bien…’’, bafouilla-t-il en se rendant compte de la situation dans laquelle j’étais.

La mienne était pourtant bien moins désagréable que la sienne. Ce n’était pas tous les jours que je me retrouvais en face du Caméléon, très légèrement vêtu d’une simple serviette de bain autour de la taille. Il paraissait tellement embarrassé et mal à l’aise, c’était vraiment jouissif ! Je me retournai une seconde afin de refermer mon pantalon.

“Je… Je comptais prendre une douche mais, au bout de cinq minutes il n’y avait plus d’eau alors…’’

“Alors tu t’es demandé si tu ne pouvais pas abuser de mon hospitalité en m’empruntant ma salle de bain 5 étoiles ?’’, terminai-je à sa place, discernant déjà la chair de poule sur sa peau.

Il esquissa un faible sourire gêné et haussa les épaules, plus timide qu’un gamin de 10 ans. Une main sur la taille, je tendis l’index en direction de la douche.

“Tu connais le chemin, je vais… à la fenêtre.’’, m’excusai-je, sachant qu’il n’aurait pas beaucoup d’intimité avec moi, quasiment dans la même pièce.

***

“Bon, d’après l’ordinateur de Papa, Eldumba est donc la troisième tête du Triumvirat.’’, récita Jarod, les yeux rivés sur l’écran pendant que je me séchais les cheveux avec une serviette.

“Mais, depuis que Matumbo et Adama ont été assassinés, ils ont bien dû être remplacés tu ne crois pas ?’’, me risquai-je.

“Tu as raison, mais cet Eldumba, je pense qu’il est peut-être différent des deux autres.’’, suggéra-t-il, faisant défiler les pages sur l’ordinateur.

“A part le fait qu’il a l’air toujours vivant, je ne suis pas sûre de te suivre.’’, murmurai-je plus pour moi-même que pour faire avancer notre questionnement.

“Mon père a dû découvrir des choses sur lui, pourquoi nous l’indiquer ? Pourquoi nous demander de le retrouver, il sait pourtant que le Triumvirat est encore plus à craindre que le Centre.’’, m’interrogea Jarod, comme si je détenais toutes les réponses.

“Peut-être qu’il joue un double jeu.’’, insinuai-je, m’installant en tailleur sur le lit, juste derrière Jarod.

Il tourna la tête vers moi d’un air intéressé. Ah, avais-je dit quelque chose digne de son intérêt ? Je lui présentai mes paumes, et puis quoi ?

“A quoi penses-tu ?’’, demanda Jarod en se tournant complètement.

“Et bien, peut-être qu’il a réussi à les berner et à devenir un membre haut placé de la hiérarchie du Triumvirat, et ce, simplement pour mieux les détruire.’’, proposai-je comme explication sous sa mine pensive.

“De l’intérieur.’’, ajouta-t-il pour terminer mon cheminement. “Oui, ça se tient, ce qui expliquerait pourquoi il n’est pas homme à craindre.’’

“Oui, enfin on n’a aucune certitude hein ! Tout ça ne sort que de notre imagination, il faudrait des preuves, des indices pour appuyer notre théorie.’’ lui conseillai-je en m’approchant de l’écran.

“Et nous assurer que l’on ne court pas de risque en fouinant un peu ici.’’

Il se remit à taper sur le clavier, à la recherche de documents concernant cet homme mystérieux. Quel qu’il soit, nous devions le trouver, il avait certainement d’intéressants renseignements à nous fournir.
J’attrapai mes vêtements et retournai m’habiller dans ma chambre. Il avait ordre de m’appeler à la découverte de la moindre info, mais le connaissant, je préférais passer le plus de temps possible sur son dos. Il ne manquerait plus qu’il me fasse des cachotteries, je l’en savais tout à fait capable.

Quand je fus de retour, quelques minutes après, il était au téléphone. La conversation qu’il tenait semblait le remuer au plus haut point. Je ne saisissais pas vraiment le sujet de la discussion mais à priori, il s’agissait d’un objet retrouvé. Ou plutôt, de plusieurs objets étant donné qu’ils n’arrêtait de répéter « mais comment sont-ils ? ». Soudain, une idée me frappa. Non, ce n’était pas possible, il faisait allusion aux… aux rouleaux ? Je n’arrivais pas à y croire, comme par hasard, en quelques jours on avait retrouvé sa mère qui n’était en fait pas sa vraie mère, après c’était son père, et là, les parchemins. Tout en même temps, à quelques jours d’intervalle, ce n’était pas possible, c’était un signe.

“Tu as les parchemins ?’’, questionnai-je alors qu’il n’avait pas encore raccroché.

Il me fit un mouvement de la main, me demandant le silence. Il était marrant lui, il me laissait languir comme ça, sans réponse.

“Alors ?’’, m’impatientai-je tout de même.

Il appliqua sa paume sur le combiné pour empêcher l’interlocuteur d’entendre ce qu’il allait me dire. Il me lança un regard réprobateur, ce qui n’eut pas beaucoup d’effet sur mon empressement.

“Attends une seconde, j’ai presque fini.’’, me dit-il d’un ton à demi agacé.

Je soupirai bruyamment, telle une enfant mécontente. Je détestais qu’on me laisse comme ça, sans me mettre au courant des changements ambiants. Je fis les cent pas sous son nez mais ça ne servit à rien. Je décidai alors d’aller m’asseoir devant le bureau, pianotant dessus avec mes ongles de façon à ce que le bruit résonne jusqu’aux oreilles de l’abruti notoire. Il reposa enfin le combiné sur son socle alors je me redressai tel un ressort, me ruant vers lui.

“Alors ? Tu les as oui ou non ?’’, le tannai-je encore une fois.

Après une seconde, il secoua enfin positivement la tête. J’entre ouvrai la bouche, sans réussir à y croire réellement.

“C’est vrai ? Mais… Comment ça se fait ? Et puis qui c’était au téléphone, il n’a pas le numéro de l’hôtel, personne ne sait qu’on est ici à part Gemini !’’, commençai-je avant qu’il ne se décide à m’éclairer.

“C’est bon ? Je peux parler maintenant ?’’, questionna-t-il en souriant devant mon excitation. “Pendant les deux mois où je suis resté introuvable, j’étais au Maroc, à rechercher les parchemins. C’était un travail difficile, lent et fatiguant. Mais je me suis fait des amis et ils m’ont beaucoup aidé. Ces quelques semaines m’ont poussé à me poser des questions, à réfléchir à toutes ces découvertes, Carthis, le secret que je connaissais sur toi. Je me suis donc décidé à rentrer pour venir te l’apprendre, pensant que c’était le meilleur moment, sachant qu’il n’y a pas de bons moments pour apprendre une telle nouvelle à qui que ce soit.’’, reconnut-il alors que je ne le quittais pas du regard, buvant ses paroles. “Bref, j’ai demandé à Omar, un de mes amis marocains, s’il pouvait continuer les recherches sans moi car le Centre avait envoyé des équipes pour trouver eux aussi les parchemins. Depuis, je l’appelle tous les 3 jours pour lui prendre des nouvelles des rouleaux. Ce que je viens de faire, et il m’a annoncé qu’hier ils avaient, lui et sa femme, trouvé les rouleaux chez un couple de paysans.’’, m’expliqua-t-il enfin.

“Mais qu’est-ce qu’ils fichaient avec les parchemins ?’’, m’étonnai-je, croisant les bras sur ma poitrine.

“Ils les ont retrouvé sur une plage, ils se sont dit qu’une belle boîte comme ça pourrait leur servir, étant donné qu’ils sont très pauvres. Ils ont essayé de vendre les rouleaux mais personne ne s’y est intéressé à part Omar.’’

“Et comment tu les récupères ?’’, m’enquis-je, ravie d’entendre de si bonnes nouvelles.

“Et bien, tout d’abord, je vais lui envoyer de l’argent pour le dédommager de toutes ses recherches et le rembourser. Il a payé les rouleaux et je viens de lui donner l’adresse de l’hôtel pour qu’il nous les envoie.’’, m’informa-t-il, tout en enfilant sa veste.

“A ton avis, quand est-ce qu’on va les recevoir ?’’

“Il a payé un ami à lui qui possède un petit avion afin qu’on les ai le plus rapidement possible. Ce qui veut dire que demain ils seront en nos mains.’’, m’apprit-il en arborant un fier et victorieux sourire.

“C’est génial !!’’, m’exclamai-je, me retenant tout juste de lui sauter au cou pour l’embrasser.

Il attrapa ma veste sur le lit et me la tendit, m’aidant à l’enfiler tel un gentleman. Je m’exécutai sans poser de questions mais il remarqua mon doute en un rien de temps.

“On ne va pas rester sans rien faire, il faut trouver Eldumba.’’, dit-il en m’ouvrant la porte.

Ce petit voyage se révélait bien plus intéressant que je ne l’avais imaginé. J’étais emportée dans cette quête, je n’avais plus aucune envie d’abandonner, nous approchions du but. Je le sentais, c’était tellement étrange que toues les pièces du puzzle apparaissent les unes après les autres. Il ne nous restait plus qu’à les assembler et bientôt, nous comprendrions tout. Je ne savais pas du tout où tout cela allait nous conduire, ni même ce que nous cherchions réellement. Peu importe, j’étais bien décidée à lutter de toutes mes forces pour enfin élucider tous ces mystères qui nous gâchaient la vie à Jarod et à moi depuis si longtemps.

***

Jarod referma la portière de notre location après s’être installé à coté de moi. Il se tourna pour me montrer la casquette rouge qu’il venait d’acheter. Rien qu’à cet achat, il état fière comme un paon.

“Comment tu me trouves ?’’, questionna-t-il en s’observant dans le rétroviseur, ajustant son couvre chef.

“Je crois qu’on a peut-être autre chose à faire que du shopping.’’, suggérai-je en essuyant la sueur qui perlait sur mon front.

“On ne sait jamais, les hommes du Triumvirat traînent peut-être en ville et connaissent mon visage.’’, se justifia-t-il le plus sérieusement du monde. Alors tu ne veux pas savoir ce que je viens d’apprendre ?’’, demanda-t-il sur un ton innocent.

Je ne me fatiguai pas à le questionner, il n’attendait que ça. Je secouai la tête, il était pire qu’un gamin de trois ans à garder, ce que je ne ferai jamais. Plutôt mourir. Je haussai les épaules, espérant qu’il n’allait pas jouer à ça trop longtemps. Ce n’était pas pour moi que ça risquait d’être douloureux, mais plutôt pour lui.

“J’ai discuté avec la très gentille vendeuse.’’, commença-t-il.

“Attends, laisse-moi deviner. Un mètre soixante-quinze, les yeux verts, un sourire à te faire fondre ?’’, me moquai sans me douter que j’allais me faire prendre à mon propre piège moins d’une seconde après.

“Ne t’inquiète pas Parker, même ressemblant à ce portrait alléchant, aucune femme ne t’arrive à la cheville. Non, seul ton 75 était bon, mais il correspond davantage à son âge !’’, lança-t-il en mettant le contact.

Il avait gagné, je souris pour lui signifier sa victoire, écrasante…

***

Chapitre 6

Parker m’étonnait de jours en jours, elle prenait mes plaisanteries –souvent de mauvais goût- avec plus d’humour. Ca me faisait très plaisir, après tout, peut-être que nous pourrions un jour devenir très bons amis ? Oui, d’accord, j’en attendais bien davantage et depuis bien longtemps, mais il fallait bien commencer quelque part !

“Jarod ?’’, m’appela Parker pour me ramener à la réalité.

Qu’est-ce qu’on disait déjà ? Ah oui, les renseignements que je venais de dégoter.

“Mama NGuma (lol) a très aimablement accepté de répondre à une ou deux questions.’’

“Mais qui peut résister à ce charme ravageur et ce petit sourire en coin Jarod ? Je te le demande !’’, me railla-t-elle avec cette moue de petite fille que j’aimais tant.

“J’aurai bien un nom à l’esprit mais je n’ai pas envie d’avoir un accident de voiture…’’, murmurai-je en appréhendant sa réaction.

“Bon, tu réponds à ma question ou tu comptes me faire languir encore longtemps ?’’, s’impatienta ma voisine, je me disais aussi, mais où était passé ce caractère piquant si cher à Parker ?

“Je lui ai dit que j’étais informaticien et que je travaillais pour une boîte appelé Triumvirat.’’

“Comment elle a réagi en entendant ce nom ?’’, s’inquiéta Parker, se tournant sur le coté.

“Elle m’a demandé si je parlais bien de ce complexe à la sortie de la ville où se trouvent toujours des dizaines de limousines garées sur le parking !’’, m’exclamai-je amusé.

“Ca me rappelle tout à fait le Centre.’’, avoua-t-elle, son regard redevenant sombre.

“Elle m’a aussi questionné sur autre chose.’’, continuai-je en tournant sur la droite. “Elle a voulu savoir si moi aussi je résidais dans ce quartier résidentiel de Binza, sur les rives du Malebo Pool.’’, lui annonçai-je, sachant que ce renseignement allait beaucoup nous aider.

“Tu crois que Eldumba pourrait se trouver là-bas ?’’, s’enquit alors Parker, de plus en plus intéressées par mes informations.

Je lui fis signe que oui, bien qu’il ne s’agissait pas réellement d’une question. Nous restâmes donc silencieux une demi heure, le temps de parcourir le trajet nous reliant à cette résidence.

***

J’avais garé la voiture à l’écart, celle-ci faisait tâche à coté des sublimes limousines qui entraient et sortaient régulièrement de cet endroit luxueux. Un mur d’enceinte de quelques mètres délimitait ce quartier, le protégeant comme une forteresse. De là où je me trouvais, c'est-à-dire, au pied de ce mur, je ne pouvais absolument rien voir. Seules quelques branches d’arbres centenaires dépassaient ça et là, brouillant la vue à tout individu plus qu’autre chose.

Nous n’osions pas trop nous approcher du portail dont les barreaux nous surplombaient en se terminant par de longs pics menaçants. Mais ce qui nous repoussait, c’était surtout l’armée de nettoyeurs qui surveillait les lieux. Ces types étaient les répliques parfaites des hommes de main du Centre, à une différence près, leur couleur de peau légèrement plus dorée.

Je me retournai vers Parker, espérant qu’elle, peut-être, aurait une solution. Elle fixait ces hommes, les craignant et les méprisant tout autant que moi. Je me collai à la paroi en soupirant, épongeant mon front qui luisait certainement au soleil.

“Tu as une proposition ?’’, me risquai-je tout de même en plissant les yeux pour mieux la voir.

“On ne sait même pas à quoi il ressemble cet Eldumba.’’, maugréa-t-elle en haussant les épaules, découragée.

“J’ai peut-être une idée…’’, marmonnai-je soudain.

J’étais sûr qu’elle n’allait pas spécialement apprécier mais avions nous le choix ? Je courus à la voiture pour récupérer l’appareil photo que j’avais pris dans la chambre de mon père et de Gemini. Quand je fus de retour auprès de Parker, elle m’observait de travers. Elle ne m’avait toujours pas posé de questions sur mes intentions. Elle devait se douter qu’elle n’aimerait pas mon plan alors ne préférait pas le connaître trop rapidement.

“Dis-moi, tu n’es jamais allée au Triumvirat au moins?’’, me rassurai-je avant de faire quoi que ce soit de risqué pour elle ou pour moi.

“Euh… Non…’’, me répondit-elle en se méfiant.

“Tant mieux. Allez, grimpe !’’, lui demandai-je en lui présentant mes deux mains bien soudées l’une à l’autre afin qu’elle y appuie son pied.

“On est en plein jour Jarod ! On va se faire repérer en un clin d’œil !’’, voulut-elle m’avertir avant de se résoudre. “Ah…’’, émit-elle en un souffle. “Je vois…’’

Elle posa son pied dans mes mains –heureusement qu’elle ne portait pas de talons aiguilles- et appuya ses mains au mur. Je me redressai pour lui faire prendre de la hauteur et lui permettre de voir au-delà de ces vraies fortifications.

“Tu vois quelque chose ?’’, la questionnai-je à bout de souffle.

“A part une meute de chiens prête à me dévorer toute crue si je passe un pied de l’autre coté, je vois de magnifiques demeures.’’, me dit-elle d’une voix parfaitement posée.

“Hey ! Qu’est-ce que vous faites ici vous deux !’’, m’interpella l’un des hommes du service de sécurité.

Je me penchai doucement pour faire redescendre Parker sans la faire tomber. Quand elle arriva au sol, nous nous mîmes à courir pour faire mine de nous enfuir. Mais bien entendu, deux hommes apparurent dans la direction opposée. Parker se retourna et adressa un sourire gêné au nettoyeur qui venait de nous rattraper et nous regardait de travers.

“Allez, venez avec nous vous deux. Vous allez découvrir l’envers du décors.’’, nous lança-t-il alors que ses deux collègues nous entraînaient par le bras.

“Je doute que ce soit aussi accueillant que ce qu’on imagine…’’, murmurai-je à Parker avant que « musclor » ne me secoue comme un prunier pour me faire taire. “Mais nous sommes de simples touristes ! Aller, s’il vous plait ! On a vu des limousines, on a cru qu’il y avait peut-être des gens connus ici ! C’est tout ! Aller, soyez simpas les gars !’’, les suppliai-je en me faisant le plus « lourd » possible.

***

Une pièce aux murs bien blancs et parfaitement propres. Des étagères encombrées de livres, tous rangés par ordre de taille. Un bureau en ronce de noyer ne comportant pas un grain de poussière. C’était là le bureau dans lequel nous étions sensés passer un mauvais quart d’heure. On nous avait fait asseoir sur deux sièges –très confortables soit dit en passant- menottés –plus gênant tout d’un coup- et surveillé par le nettoyeur qui nous avait repérés.

D’après la petite plaque en marbre qui ornait la table en verre qui nous faisait face, le maître de ces lieux se nommait Mr NBamou. L’appréhension commençait à monter en moi, j’espérais que cet homme n’avait jamais vu une seule photo de moi, de près ou de loin. S’il se doutait une seule seconde de mon identité, enfin, du fait que j’étais le Caméléon, je ne donnais pas cher de notre peau.

Soudain la porte s’ouvrit, laissant la place à un homme de grande taille, vêtu d’un costume gris clair. Il nous tournait le dos et parlait avec un autre homme. Evidemment, je ne pu m’empêcher de les écouter.

“Je wemplace Mr NBamou pou’ la jouwnée, il é en voyage d’affaiw dans le Deuleuweur. Pouyez-vous m’appowter les dossiers qu’il devé twaiter s’il vous plé ?’’, demanda-t-il à celui qui devait être l’assistant de Mr NBamou. “Laissez-nous.’’, ordonna-t-il ensuite au nettoyeur qui nous avait gentiment accompagné jusqu’ici.

Il se retourna ensuite vers nous et se figea, les yeux ronds. Il tendit les mains vers le ciel. Une goutte de sueur dévala mon front et mes mains devinrent tremblantes. Il nous avait immédiatement reconnus, nous étions faits. Mais quelle idée complètement idiote j’avais eu ! C’était fichu, on pouvait déjà faire nos prières.

“Jawod et Mlle Pawkew ! Vous deux ici !’’, s’exclama-t-il, plus étonné que jamais.

Je détournai les yeux en direction de Parker, je l’avais rarement vue aussi tendue. J’espérais simplement que son ulcère n’allait pas se réveiller encore une fois. Elle ne quittait pas cet homme du regard, appréhendant chacun de ses gestes, cherchant tout comme moi la moindre issue.

L’homme recula de quelque pas pour aller chercher un quelconque objet sur le bureau. Quand il s’approcha de nouveau, il pointait devant lui un coupe papier qui s’apparentait davantage à un pic à glace. Une vague de froid s’empara de moi, les tremblements s’étaient propagés à mon corps tout entier. Mes yeux ne faisaient que des aller et retour entre cette arme qu’il brandissait et le regard de Parker qui pénétrait en moi avec autant de facilité que ce pic ne tarderait pas à le faire.

Il passa derrière moi et mon souffle s’arrêta. Le bleu azur des yeux de Parker m’hypnotisait littéralement, je ne voyais plus que lui, c’était aussi la dernière chose que je verrais avant de mourir. J’avais pensé à ce moment des centaines de fois mais jamais ne n’avais imaginé combien le regard de Parker ne ferait doux et fort à la fois.

Je baissai les paupières, nous imprégné par son regard, quand soudain je me sentis plus libre. Plus libre ? Je rouvris les deux, je me massais le poignet gauche avec la main droite. Je tournai alors la tête en direction de Parker, elle allait bien, elle était libre elle aussi. Mais que s’était-il passé ?

L’homme retourna à son bureau, déposant le coupe papier dans une coupelle et s’installant ensuite dans son large fauteuil. Il nous avait défait de nos entraves… Mais pourquoi ?

“Je me pwésente, Mr Eldoumba, twoisième diwigeant du Twiumviwa’.’’, nous annonça-t-il avec un sourire plutôt réconfortant.

Enfin, il n’aurait pas sourit que ça aurait eu le même effet. Je soufflai longuement, ravi de le rencontrer. Il ressemblait quelque peu aux photos que j’avais vues de Matumbo sur le point de vue de la masse corporelle. En ce qui concernait le visage, ses traits étaient plus ronds et la petite moustache qui surplombait son sourire tressautait à mesure qu’il parlait, donnant l’impression qu’il s’agissait d’une virgule. Cette petite marque physique le rendait amusant et même accueillant.

On dit souvent que la seule chose que l’on remarque chez un agresseur armé, c’est justement l’arme qu’il porte. Tout ce qui l’entoure, y compris le visage de l’assaillant, s’éclipse et seule l’arme reste, menaçante, effrayante et surtout, obnubilante. Même pour un Caméléon, pour le Génie que j’étais, ce genre d’évènement était toujours troublant.

“Eldumba ?’’, répéta Parker, tout aussi rassurée que moi.

“Cela fé si longtemps que j’attends vote awivée.’’, nous apprit-il. “Je suis désolé mais nous nous vewons à un autweu moment et dans un autweu lieu. Tenez’’, s’excusa-t-il en me tendant un morceaux de papier sur lequel il avait inscrit une adresse et un horaire. “Vous compwendwez que dans ma position, je me dois d’êtweu discwet. Je vous expliquewé tout ce soiw. Maintenant, sauvez-vous avant qu’un nettoyeuw ne vous weconnésse.’’, nous conseilla-t-il en nous ouvrant la porte de son bureau.

Parker et moi échangions un regard entendu puis nous quittions la place, considérablement apaisés. Nous firent profil bas jusqu’à ce que nous aillons franchi le portail et une fois dehors, nous respirâmes à gorge déployée.

“Je n’arrive pas à y croire !’’, lui confessai-je avant de monter en voiture.

“Je te dis, c’est la période, tout devient si… facile !’’, me lança-t-elle en souriant.

“Oui, enfin, ce NBamou ne serait pas allé dans le « Deuleuweur », je ne suis pas sûre qu’on possède encore toutes nos dents !’’, répliquai-je avant que nous n’éclations de rire.

C’était nerveux, on avait besoin d’évacuer toute cette tension qui s’était accumulée en nous en peu de temps. Le soir même, nous étions sûrs d’en apprendre encore de belles. Je passai une main dans ma nuque avant de démarrer. Un dernier coup d’œil dans ce quartier résidentiel en passant et un dernier sourire soulagé, puis nous quittions les lieux.

***

J’étais installé derrière mon écran d’ordinateur, faisant quelques recherches dans les fichiers de mon père. J’allais aussi faire quelques petites visites sur les serveurs du Centre, histoire de voir ce que trafiquaient Raines et Lyle de l’autre coté de l’Atlantique. Tout en faisant cela, j’observait discrètement Parker qui était assise sur le lit. Elle était en train de plier les vêtements qu’elle avait achetés durant l’après midi. C’était étrange, Parker ne ressemblait à aucune autre femme mais allez savoir pourquoi, dès que vous lui donnez une carte de crédit sans plafond, elle sait tout de suite comment on s’en sert…

Je m’en fichais, que ce soit mon argent ou celui du Centre, rien n’était assez beau et assez cher pour elle. Rien avait autant de valeur que le temps que j’avais l’occasion de passer avec elle, c’était si rare, donc si précieux.

Elle avait acheté des tonnes de vêtements et évidement, qui avait dû porter les sacs ? Je n’aurais jamais imaginé que Kinshasa puisse autant regorger de boutiques. Mais une chose m’avait fait plaisir : les tailleurs strictes et sombres avaient cédé la place à des jeans « tendance » et des tee-shirts tous plus à la mode et chics les uns que les autres. Et je ne vous parlais pas des débardeurs et des décol… Oui enfin, des vêtements plus décontractés quoi…

Elle tourna la tête au moment où j’étais en train de la contempler alors je baissai les yeux rapidement. Je n’osai plus les relever de peur que je ne me fasse repérer comme un bleu.

“On devrait peut-être y aller, non ?’’, me demanda-t-elle en se levant.

“Euh…’’, j’observai ma montre. “Oui, bonne idée.’’, acquiesçai-je en enfilant ma veste.

Parker me jeta un regard inquisiteur, certainement prête à me poser quelques questions mais elle n’alla pas plus loin. Je lui ouvris la porte et elle passa devant moi, réajustant son col comme si de rien n’était. Elle n’appréciait pas quand je la fixais, peut-être pensait-elle que je cherchais à l’étudier, à la découvrir davantage. C’était vrai, d’un coté, mais de l’autre, j’aimais la regarder, tout simplement. Evidement, les yeux parfois plissés, le sourire en coin… Ce n’était pas plus pour l’agacer que pour la dérouter, et ça semblait marcher à merveille à en juger par les soupirs qu’elle lâchait à chaque fois !

***

“Tu es sûre qu’on est à la bonne adresse ?’’, questionna-t-elle pour la troisième fois, au détour d’une carcasse de voiture.

“Parker, tu as lu ce papier tout comme moi et tu sais très bien qu’on est au bon endroit.’’, lui affirmai-je en me frottant les mains pour essayer de les réchauffer.

Seule la lueur de la lune éclairait nos pas et me permettait de voir la fumée blanche sortir de la bouche de Parker à mesure qu’elle parlait. Il était étrange qu’un tel homme, si fringuant et habitué au luxe, nous donne rendez-vous dans un tel lieu. On aurait dit une sorte de décharge sauvage, le sol était jonché de détritus, morceaux de ferraille ou encore de vieilles voitures abandonnées. Celles-ci se trouvaient d’ailleurs dans un triste état.

Il n’y avait pas un bruit autour de nous, sauf peut-être celui du vent qui sifflait contre le métal rouillé. Je percevais aussi parfois le souffle rapide de Parker quand elle se rapprochait de moi.

“Tu le vois ?’’, fit-elle en plissant les yeux pour voir au loin.

“Toujours pas, il a peut-être eu un empêchement.’’, suggérai-je, croisant les doigts pour qu’il vienne tout de même.

“Il a bien noté 23h30, non ?’’, me demanda-t-elle encore.

“Oui, c’est bien ça.’’, assurai-je en vérifiant quand même si je ne m’étais pas trompé en le lisant, une cinquième fois.

Soudain un mouvement se produit dans notre dos, nous poussant à faire volte face. Parker avait dégainé son Smith&Wesson et avançait d’un pas assuré dans l’obscurité ambiante. J’étais juste à coté d’elle mais elle me doubla, se postant juste devant moi. Se rendait-elle compte qu’elle me protégeait en faisant cela ? Je secouai la tête, l’instinct, je n’étais pas armé, ça devait être ça.

Une silhouette nous apparut enfin, s’approchant lentement, ou plus précisément, avec méfiance. Parker rengaina son revolver quand elle s’aperçut qu’il s’agissait d’un enfant. Il ne devait pas avoir plus de 13 ans, simplement vêtu d’un tee-shirt troué et d’un pantalon, lui aussi en piteux état. Il ne portait pas de chaussure, il ne parlait pas. Il nous tendait juste une feuille de papier dont s’empara Parker. J’avais détourné les yeux seulement une seconde et il s’état envolé, tout comme j’avais appris à le faire. La jeune femme qui m’accompagnait n’avait même pas encore remarqué sa disparition, elle se mit à lire à haute voix :

“Mlle Parker, Jarod. Je vous prie de m’excuser pour mon absence mais je n’ai pas eu le choix. De part le rang que j’occupe, il aurait été bien trop risqué que je vienne vous parler en personne. Je sais ce que vous cherchez, vous voulez des réponses sur vos origines, sur votre rôle au Centre et au Triumvirat. Je ne peux vous dire que deux choses. La première, c’est que mon grand père, Acoudo a été assassiné par votre arrière grand-père Mlle Parker. Il était son esclave au temps du Commerce Triangulaire et a voulu offrir une vie meilleure à ma grand-mère et à mon père, en fuyant, mais cela lui aura coûté la vie. L’autre information que je suis en mesure de vous révéler est que le Centre a été créé après le Triumvirat. Cette organisation que je dirige aujourd’hui a été créée par votre arrière grand-père pour gérer le commerce des esclaves. Mais le jour où Mr Parker a assassiné mon grand-père, ma grand-mère Salinka a rencontré un sorcier Vaudou afin de jeter une malédiction sur Mr Parker et toute sa descendance. Ce dernier ne fut pas effrayé, il ne croyait pas en cette magie mais sa femme, elle, était terrorisée. Elle réussit à le convaincre de quitter le pays, pour aller s’installer sur l’île de Carthis. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’avant de partir, elle a fait appel à quelqu’un elle aussi et qu’elle a emporté des parchemins sacrés, écris de sa main. Ma mère, Malinka, m’a ensuite transmis cette sombre histoire, sachant qu’un jour, quelqu’un lutterait contre le Triumvirat. Lorsque que j’ai appris votre existence Jarod, j’ai tout de suite su que vous étiez l’une de ces personnes, ou LA personne, qui apporterait le changement. N’abandonnez jamais, je me suis battu pour atteindre cette place au Triumvirat, sachant qu’un jour, les personnes choisies auraient besoin d’aide. Ici, mon identité est ignorée de tous et je tiens à ce qu’elle le reste, mais vous, trouvez les parchemins, ils sont la clé de tous les secrets et de la disparition de ces deux monstrueuses organisations que sont Le Centre et le Triumvirat.’’

Parker se tourna vers moi, une main plaquée sur la bouche. Encore une fois, elle apprenait des horreurs sur ses origines. En plus d’avoir assassiné toute sa famille, son arrière grand-père avait aussi été l’instigateur de l’esclavage de milliers d’Africains…

La feuille tremblait légèrement, mes yeux parcoururent le bras de Parker jusqu’à son visage. Le froid n’y était pour rien, elle avait peur. Peur de se comprendre davantage, de se situer dans sa famille par l’intermédiaire de nos découvertes. Elle était effrayée d’en savoir plus, qui l’en blâmerait ?

Je m’avançai lentement, tendant le bras afin de poser ma main sur son épaule. Elle sursauta presque lorsque mes doigts entrèrent en contact avec elle. Elle continuait de fixer cette lettre, lisant et relisant chaque phrase, chaque mot plusieurs fois. Elle n’arrivait pas à y croire, moi non plus. Mas nous en avions tellement vu, entendu, subi…

Elle détourna quelque peu la tête, les yeux dans le vide. Et soudain, sans que je ne m’y attende, elle posa sa main sur la mienne. A mon tour, je sursautai puis penchai le visage pour essayer de rencontrer son regard. Hélas, elle ferma ses paupières, permettant à deux larmes de rouler sur ses joues blanchies par le vent glacé. Et là, là je sus que rien ne serait plus comme avant entre nous. Elle effectua un demi tour et vint se blottir tout contre moi, callant sa tête dans le creux de mon cou. Instinctivement, je l’encadrai de mes bras, avec vigueur et tendresse toutes deux mêlées. J’enfouis mon visage dans ses cheveux parfumés, la serrant encore plus fort pour la réchauffer, la rassurer… Simplement pour lui montrer que je serrai toujours là pour elle, quoi qu’il se passe. Au bout de quelques secondes d’un intense combat intérieur, elle fondit en larmes, secouée de tremblements qui devenaient incontrôlables. Je la berçai doucement, sans dire un mot, restant juste là auprès d’elle.

Elle avait besoin de se laisser aller, de craquer, c’était si rare. C’était aussi la première fois qu’elle le faisait devant moi, ce qui était d’autant plus étonnant… si on considère le fait que je suis l’une des personnes desquelles ce masque était sensé la protéger.

“Viens…’’, lui chuchotai-je en attrapant sa main.

***

Je m’assis sur le rebord du lit, veillant sur Parker alors qu’elle cherchait le sommeil. Celui-ci s’empara d’ailleurs rapidement d’elle car elle remuait légèrement, agitée par les cauchemars qui l’assenaient. Je remontai un peu plus la couverture sur elle, encore habillée. Elle avait été trop fatiguée pour se changer quand elle s’était assise là, un quart d’heure auparavant. Avec une extrême délicatesse –ou par peur de la réveiller- je passai le revers de mon index juste sous son œil afin d’effacer la marque laissée par une de ses larmes.

“Dors bel Ange.’’, lui murmurai-je avant de m’éloigner.

Je pris place dans le fauteuil qui faisant face au lit, gardant un œil sur Parker au cas ou un mauvais rêve la réveillerait. Je retirai ma veste, la posant sur moi pour m’en servir comme d’une couverture. Je plaçai ensuite mon bras au dessus, tenant dan ma main la feuille dépliée qui était à l’origine de notre bouleversement et de nos questions.

Je devais trouver quelqu’un qui puisse nous aider, nous éclairer sur la voie à emprunter. Mais le plus important, c’était de comprendre la valeur des rouleaux, leur importance. C’était ça « la clé » de tout, de la disparition du Centre et du Triumvirat. C’était étrange, il parle de « LA personne qui apporterait le changement », faisait-il allusion à moi ? Après tout, j’étais quelque peu différent des autres de par les dons que je possédais donc… J’étais peut-être cette personne, une sorte d’élu… Non, ce n’était pas possible, bien trop « mystique » alors que Le Centre repose sur la science, le génome humain, ce n’est pas possible, quoique… Avec eux, on ne pouvait jamais rien savoir à l’avance.

Alors ces parchemins ne sont ni issus de la main de Dieu, ni des gribouillages de la patte de Satan, comme l’avait suggéré la pauvre Ocee. C’était l’arrière grand-mère de Parker qui était à l’origine de leur création, mais dans quel but ? Et pourquoi les apporter à Carthis, ils n’ont même pas servi à sauver sa famille puisque Mr Parker les a tous assassinés…

Je devais comprendre tout ça, mon instinct me disait que ces rouleaux eux-mêmes ne me permettraient pas de terminer le puzzle. Il fallait que je trouve la personne que son arrière grand-mère avait contactée, ou du moins l’un de ses descendants car je doutais qu’elle fasse encore partie de ce monde. Et il fallait le faire au plus vite, de façon à décrypter ces rouleaux quand on les recevra. Pour cela, je devais réveiller Parker, je n’allais pas la laisser dormir pendant que je partais à la recherche de notre passé.

Je réenfilai ma veste puis m’approchai du lit sans un bruit. Son sommeil était toujours agité, j’allais la déranger, c’était certain. Mais je préférais encore me prendre une petite remarque sur le moment plutôt qu’un sermon de tous les diables le lendemain parce que je ne l’aurais pas avertie…

Je me penchai au dessus d’elle, dégageant la mèche brune qui lui couvrait le visage. Je caressai à peine la joue et elle commença à remuer les paupières. Peu à peu, elle allait ouvrir ses beaux yeux bleus et me lancer l’un des jurons qui lui vont si mal.

“Quelle heure est-il…’’, marmonna-t-il en s’étirant. “J’ai tellement sommeil…’’, ajouta-t-elle pendant que je jetai un œil à ma montre.

“Il est 2h du matin Parker.’’, lui annonçai-je avec appréhension, prêt à me réfugier dans mon abri…

“Tu veux ma mort sur ta conscience ou quoi… Ou plutôt non, TA mort sur MA conscience ?’’, rectifia-t-elle sur un ton plus dur.

Mes lèvres s’étirèrent instantanément : elle était réveillée. J’attrapai sa veste et la lui tendit alors qu’elle se frottait les yeux, assise sur le rebord du lit. Elle finit par se lever et se couvrir, sans oublier de me jeter un regard noir au passage.

“J’espère que tu as fait du café ou c’est clair que tu ne verras pas le jour se lever tout à l’heure.’’, grogna-t-elle, encore légèrement embrumée.

“Euh… Emis-je avec hésitation. “J’ai cru voir un distributeur de boissons chaudes à coté de la galerie marchande, juste en bas de la rue.’’, lui dis-je en espérant survivre aux cinq cent mètres à parcourir.

“Mouais… Même pas une heure de sommeil et pas de café, c’est évident, tu es suicidaire mon cher Jarod.’’, conclut-elle avant de sortir de la pièce.

***

Chapitre 7

Nous marchions –ou plutôt déambulions- dans les rues de Kinshasa depuis une bonne demi-heure et je ne savais toujours pas pour quelle raison. Enfin si, un peu, Jarod voulait trouver des réponses à ses questions mais lesquelles précisément… Je n’en avais aucune idée ! Il ne parlait pas, la tête baissée, les yeux dans le vide, il réfléchissait à s’en faire fumer le cerveau. Moi j’avais bu mon café d’une traite de façon à ne pas me brûler les doigts tant notre allure faisait chavirer le liquide du gobelet en carton plastifié.

“Il faut mettre la main sur cette personne…’’, soupira-t-il enfin.

Je fronçai les sourcils, mais bien sûr, de qui me parlait-il encore ?

“Tu pourrais mettre le décodeur ? Je ne suis pas sûre de capter le bon réseau là...’’, lui rétorquai-je, intriguée par la mine perdue qu’il affichait.

“Celui qui a parlé à ton arrière grand-mère avant son retour pour Carthis.’’, précisa-t-il en s’arrêtant brusquement, observant les alentours.

“Euh, à mon avis, va falloir utiliser une pelle pour le retrouver ce type…’’, pensai-je tout haut.

“Je m’en doute bien, merci.’’, répliqua-t-il sèchement.

Le faible sourire qui ornait mes lèvres encore quelques seconde auparavant d’effaça instantanément. Non mais j’avais rêvé ou il venait de me rembarrer ? Mais de quel droit se permettait-il ne me répondre de la sorte ? Il allait m’entendre, me réveiller à pas d’heure, m’obliger à ingurgiter à café qui ressemblait à tout sauf à du café et ensuite me parler avec encore plus condescendance qu’à un chien…

“Oh, ça va hein ! J’te rappelle que c’est moi qui n’ai pas eu de vrai café alors tu calmes tes ardeurs s’te plaît !’’, lui lançai-je en me plantant devant lui pour l’obliger à me regarder dans les yeux.

Il fit un pas de coté, fixant un coin sombre dans une rue adjacente. Je me retournai devant son impassibilité, apercevant bientôt l’objet de son intérêt : une cabine téléphonique. Je pivotai de nouveau, il fit enfin attention à moi.

“Excuse moi Parker, je suis désolé, je ne sais pas ce qui m’a pris. C’est toute cette histoire, je crois que ça me monte à la tête.’’, se justifia-t-il, le visage presque peiné.

“Je comprends.’’, me surpris-je à répondre d’une voix douce. “C’est normale, tout est si… Etrange. Comment rester de marbre ?’’, questionnai-je en sachant déjà la réponse.

“Viens, j’ai eu une idée.’’, m’annonça-t-il en s’emparant de ma main.

J’eus un temps d’arrêt, observant sa main sur la mienne. Il remarqua ma réaction et s’apprêtait à me « libérer » quand je le suivis, serrant à mon tour ses doigts. Lui aussi fut étonné par ma réaction mais il semblait rassuré, confiant. Nous traversâmes la rue et entrâmes tous les deux dans la cabine. Son souffle réchauffait mon visage, il le me lâcha même pas pour composer un numéro, le combiné coincé entre son oreille et son épaule.

“Allo les renseignements ?’’, demanda-t-il. “Oui, je voudrais le numéro d’une société de Kinshasa s’il vous plaît, oui, le Triumvirat… C’est ça… Auriez-vous également le numéro de Mr… Eldumba je vous prie. Hum… Hum... Très bien, je vous remercie.’’

Je m’étais rapprochée de lui –collée à lui serait le terme exact- afin qu’il me réchauffe quelque peu. Une simple veste ne me protégeait pas spécialement du froid des nuits africaines. Il passa un bras autour de mes épaules et j’apposai ma tête sur la sienne.

Il composa un second numéro, certainement celui d’Eldumba, pour lui demander quoi ? Allez savoir ! Je doutai que ce soit pour le questionner sur la culture congolaise…

“Mr Eldumba, c’est votre ami de cet après-midi.’’, se présenta-t-il pour se faire uniquement reconnaître de son correspondant. “Je sais, je veux juste savoir une seule chose, s’il vous plaît. Eldumba, oui… Oui je sais que vous prenez trop de risques… Dites-moi seulement comment retr… Rh… Il a raccroché.’’, pesta Jarod en reposant rageusement le téléphone sur son socle.

“J’ai peut-être une autre idée…’’, murmurai-je soudain.

“Je t’écoute.’’, fit Jarod en appuyant sa tête contre la mienne et reliant sa main droite à celle qui était déjà dans mon dos.

“Trouvons un sorcier qui pratique le Vaudou, ici ils se connaissent tous. S’ils ont vraiment les dons qu’ils prétendent posséder, ils nous feront confiance et nous parleront.’’, suggérai-je en redressant quelque peu la tête pour voir son regard.

“Pourquoi pas… Tu vois où on pourrait aller ?’’, demanda-t-il en poussant la porte pour que nous sortions de ce petit endroit restreint.

“A la sortie de la ville, ces espèces de bidonvilles que l’on a aperçus en allant à notre point de rendez-vous tout à l’heure. Je suis sûre qu’on trouvera quelqu’un là-bas.’’, lui dis-je en reprenant la direction de notre hôtel.

“Très bien, allons-y. On retourne chercher la voiture et on suit ta piste.’’

***

Je fermai la portière, sentant un frisson remonter le long de ma colonne vertébrale. Je rejoignis Jarod qui se dirigeait vers un groupe de personnes. Il était plus de 3h du matin et ils étaient toujours debout, à mon avis, ils ne devaient pas être normaux…

Ils avaient allumé un feu de bois, les flammes immenses dansaient dans la nuit. Ils étaient en train de parler mais quand nous nous approchâmes, ils se turent et nous fixèrent. J’eus l’impression de voir de la peine et de la souffrance dans leurs yeux.

“Appwochez mé zamis. Nous vous attendions.’’, nous invita un homme très âgé en nous présentant deux places libres.

Jarod et moi échangeâmes un regard interrogateur. J’haussai les épaules, pourquoi pas ? Nous n’osions rien dire, peut-être étions-nous impressionnés ou émus.

“Nous savons pouwquoi vous êtes ici.’’, affirma l’un d’entre eux, esquissant un faible sourire. “Vous chewchez.’’, précisa-t-il.

Je fronçai les sourcils, étonnée de leur lucidité. J’observai Jarod un instant, il avait l’air comme fasciné, hypnotisé par ces hommes. Et puis je tournai la tête vers eux, ils étaient cinq hommes, tous âgés et tous misérablement vêtus. L’un d’eux n’avait de cesse de jeter une poudre blanchâtre qui avait pour effet de raviver le feu, faisant gonfler les flammes.

“Et que pensez-vous que nous cherchons ?’’, questionnai-je, sensiblement sceptique.

“Des wéponses !’’, s’exclama mon voisin, brandissant une branche dénudée qui devait lui servir de canne.

“Des réponses ?’’, répéta Jarod, interloqué.

“Celles de Mama Souza !’’, répondit-il, intrigué par notre ignorance –passagère.

“Euh… Ca serait trop vous demander de nous dire qui est cette Mama Souza ?’’, questionnai-je, complètement larguée !

“C’est elle, la femme blanche qui é venue voir Ukagio et qui s’est sacwifiée.’’, expliqua-t-il alors que je pensais commencer à comprendre.

“Mama Souza…’’, soupirai-je avec évidence.

“Tu peux traduire ?’’, fit Jarod.

“Mama Souza n’est pas son vrai nom, elle s’appelait Suzanne. Suzanne Parker, c’était mon arrière grand-mère.’’, lui dis-je pour le remettre sur la bonne voie.

“Oh…’’, émit-il simplement.

“Cet Ukagio, vous connaissez quelque chose sur lui ? Je veux dire, est-ce que c’est lui qui a écrit des parchemins sacrés ?’’

“Pewsonne ne connaît les secwets de Ukagio !’’, s’exclama celui qui me faisait face, tout en ce levant.

J’eus l’irrépressible envie de grogner, ils nous ont attirés, nous nous ont mis sur des pistes mais ne savaient rien ! Je la lui aurait fait bouffé sa canne à ce pauv’ vieux qui me scrutait les yeux brillant presque de larmes.

“Le mieux est d’aller lui poser vos question.’’, suggéra celui qui était debout.

Jarod et moi nous regardâmes encore une fois, j’avais eu raison quand j’avais dit qu’ils ne semblaient pas normaux !

“Eux… Merci, les tombes je connais !’’, répliquai-je en voulant retourner à la voiture.

Qu’est-ce qui m’avait pris de dire à Jarod que je voulais consulter des sorciers Vaudou ? Ca devait être l’Afrique et son climat qui me mettaient dans cet état.

“Il est mort depuis quand ? Vingt ans ? Quinze ans ?’’, fis-je alors que Jarod me retenait par le bras.

“Ukagio ne meurt jamais!’’, assura le vieillard en avançant vers moi.

“Mais bien sûr, et alors quoi ? Vous allez nous faire des incantations en chantant autour de votre feu de camp aussi ?’’, rétorquai-je, plus acerbe que jamais.

Je ne croyais pas à ce genre de « magie » ou de « pouvoirs » alors pourquoi être venue ici, Je ne le savais même pas, l’instinct ? Non, c’était autre chose, un certain don que je partageais avec mon demi-frère Ethan, évidement.

“Parker, tu entends bien des voix…’’, essaya de me convaincre Jarod.

“Venez le voiw de vos yeux Mlle !’’, me proposa l’un d’eux.

Jarod et moi nous retournâmes soudain. C’était donc vrai ? Il n’était pas mort ? Mais il devait à peine tenir sur ses pieds à son âge.

“Même à 119 ans, Ukagio pwatique toujouw son aw. Souivez-moi mé zamis.’’, lança-t-il en nous faisant un signe avec son bras.

Jarod remarqua mon doute alors il s’empara une nouvelle fois de ma main et m’attira dans la direction qu’on venait de nous indiquer. Et une fois encore, je m’exécutai sans trop rechigner, après tout, qu’avais-je réellement à perdre ? A part la tête…

***

nous entrâmes dans une espèce de cabane en plaques de métal et morceaux de carton. Autrement dit, rien a voir avec les cases que l’on s’imaginait en pensant aux vieux sorciers africains. Un homme encore plus âgé que les précédent nous accueillit alors, arborant un sourire chaleureux. J’eus un véritable choc en l’observant, je n’avais jamais vu autant de rides réunies sur une si petite surface que pouvait représenter son visage ! Il me faisait presque penser à… Un sharpey sans les poils…

“Bonsoir.’’, murmura timidement Jarod, de peur de déranger.

“Cela fé si longtemps que je vous attendé.’’, répondit l’africain d’une voix rocailleuse.

Je me demandais comment il faisait pour encore parvenir à parler sous le poids de toutes ces années. Nous nous assîmes en face de lui, en tailleur car l’endroit était très restreint. J’étais tout de même attristée de voir dans quelles conditions de tels hommes pouvaient vivre, ce devait être souvent bien difficile et éreintant.

“Vous devez êtwe Mama Anga.’’, questionna-t-il en levant les yeux sur moi.

Je ravalai ma salive, encore un qui en savait plus qu’il ne le devait. Jarod sourit, il avait rapidement fait le rapprochement, même un gamin de CE2 l’aurait fait.

“Je préfère Mlle Parker si ça ne vous dérange pas.’’, le priai-je en essayant de ne pas paraître trop sèche.

“Monsieur Ukagio, vous avez bien rencontré une femme du nom de Suzanne Parker, il y a de cela des années maintenant, au moins 80 ans ?’’, demanda Jarod en ayant l’impression de dire une imbécillité.

“C’été le 3 janvier 1921, j’avé 39 ans.’’, précisa-t-il avec une facilité déconcertante.

Le 3 janvier, comme par hasard, le même jour où Jarod et moi sommes nés, il y avait quelque chose là-dessous, ce n’était pas possible. Nous gardâmes néanmoins le silence, sachant qu’il allait continuer de nous étonner.

“Cette femme, votwe awièwe-gwand mèwe m’appowté des pawchemins.’’, commença-t-il avant que je ne l’interrompe.

“Vous les avez lus ?’’, m’enquis-je avec un soudain intérêt, peut-être démesuré.

“Elle m’a simplement demandé de mettre fin à une malédiction, celle qui pesé sur son mawi. J’ai donc conféwé des pouvoiw à ces wouleaux, comme elle me l’a supplié. Mais…’’, il se tu, comme cherchant ses mots.

“Quoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ?’’, m’inquiétai-je.

“Elle n’avé pas l’aiw de savoiw…’’, soupira-t-il d’un air soucieux.

“De savoir quoi enfin ?!’’, m’exclamai-je, perdant patience.

“Que les pawchemins étaient déjà une malédiction pesant sur tous les descendants des Pawkew.’’, expliqua-t-il, presque effrayé.

“Vous voulez insinuer que mon arrière grand-père était déjà victime d’une malédiction et qu’une femme lui en a jetée une de plus ?’’, questionnai-je, complètement perdue.

“Exactement. C’est pouwquoi je n’é fé que modifier les dewnièwe pawoles des pawchemins. Pour mettwe fin aux deux malédictions mais il faut toujours une contwepawtie.’’

“Une contrepartie ? Quel genre de contrepartie ?’’, questionnai-je encore, mais ce ne fut pas la même voix qui me répondit.

“La vie de ton arrière-grand-mère et celle d’Ange, c’est pour ça que ton arrière grand-père a assassiné toute sa famille. C’était le sacrifice obligé pour mettre fin aux deux malédictions.’’, devina Jarod, clairvoyant.

“Mais… Je ne comprends pas… Il a tué sa femme et sa fille, d’accord, mais la malédiction n’est pas finie. Regarde mon p… Mr Parker, Mr Raines, Lyle, toutes les horreurs dont ils sont coupables… C’est la malédiction qui continue.’’, lui fis-je remarquer.

“Je né jamé dit que la malédiction pwendwait fin ce jouw-là.’’, nous signifia le vieil homme en souriant légèrement.

“Alors quand ? Vous allez encore nous faire tourner longtemps autour du pot ?!’’, m’emportai-je, excédée et… peu rassurée.

“Lowsque l’élu viendré au monde et que quelqu’un l’éderé à compwendwe son wôle.’’, répondit-il avec évidence et toussant quelque peu.

Je regardai Jarod, à la recherche d’une explication, d’une piste. Il ne semblait pas plus avancé que moi, il haussa les épaules. Nous nous tournâmes rapidement, inquiet de l’état d’Ukagio. Il était secoué d’une violente quinte de toux à laquelle il ne semblait pas résister.
“Mama Souza est wetouwnée à… A Cawthis avec les wouleaux…’’, dit-il, presque inaudible. “Je ne sé pas qui… Qui lé avé écwis… et pouwquoi… je suis…’’, il s’interrompit pour essayer de respirer.

“Il est mourant.’’, déduisit Jarod, posant une main sur le front du vieillard qui devait être brûlant.

Je l’observai avec inquiétude, il ne parviendrait sans doute pas à en dire davantage pour ce soir. Peut-être valait-il mieux le laisser se reposer. Je jetai un coup d’œil dans sa direction en voulant sortir mais il m’agrippa le bras au passage. Un mince filet de sang coulait déjà du coin de sa bouche et les vaisseaux qui avaient éclatés dans ses yeux lui donnaient une expression maléfique. Je m’accroupis pour l’écouter, voyant qu’il avait quelque difficulté à articuler.

“Twouvez les wouleaux… Vous êtes si… Impowtante…’’, lâcha-t-il dans un dernier souffle.

Ses pupilles se figèrent et Jarod, qui avait tout entendu, passa sa main sur son visage pour fermer ses paupières. Il n’y avait plus rien à faire pour lui. Peut-être était-ce un signe du destin. Peut-être avait-il vécu toutes ces année dans notre attente et que désormais, il pouvait partir en paix, sachant qu’il avait transmis son message. Il avait rempli sa mission, libéré ce souffle qui le gardait encore en vie, juste pour nous guider dans notre quête.

Je sortis, j’avais besoin d’air frais, de respirer. Les paroles de Margaret me revenaient à l’esprit, ma mère avait lus les rouleaux et savait ce qu’ils représentaient. J’avais tellement hâte de les lires de façon à tout comprendre, à éclaircir tous ces mystères.

“Est-ce que ça va ?’’, s’inquiéta Jarod en me voyant à l’écart.

“Oui, oui, c’est juste que… Ce qu’il a dit avant de mourir, c’est un peu ce que Margaret m’a dit avant de fuir.’’, lui expliquai-je en me retournant.

“Quoi ? Que t’a-t-elle dit ? Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé ?’’, questionna Jarod, semblant de plus en plus préoccupé.

“Je ne pensais pas que c’était important ! Je n’y ai même pas fait attention sur le coup !’’, m’exclamai-je, offusquée.

Je soupirai, levant les bras au ciel. J’avais l’impression d’être coupable à ses yeux et je trouvais ça tellement révoltant. Je n’avais rien fait pour venir jusqu’ici, pour découvrir tout ça, apprendre que j’étais le clone de ma mère… J’étais au bout du rouleau –sans mauvais jeu de mots- et il se permettait encore de me faire des reproches.

“Je ne suis pas un génie avec plus de 175 de Q.I moi ! Je n’ai pas la science infuse ou ne m’en vante pas en tout cas !’’, lui rétorquai-je avant de m’éloigner d’un pas décidé.

“Parker ! Attends-moi !’’, m’appela-t-il en essayant d’attraper mon bras que je retirai violement.

“Il n’y a pas que toi qui a le droit de craquer! Moi aussi j’ai le droit de faire des crises de nerfs ! On pensait que tout, le Centre, le Triumvirat étaient liés à toi mais plus on avance plus on apprend que tout provient exclusivement de MA famille ! Alors qu’est-ce que tu fiches encore là ?!’’, criai-je, perdant tout contrôle de mes actes et de mes paroles.

“Parker, calme-toi.’’, tenta-t-il de m’apaiser vainement.

“J’en ai ras-le-bol de tout ça ! Une fois qu’on a les rouleaux, je les lis et JE ME TIRE D’ICI !!’’, hurlai-je de plus belle sous les yeux hébétés d’un pauvre Jarod désemparé.

Je montai en voiture et claquai la portière, croisant les bras sur ma poitrine et baissant la tête. Tout ceci afin de lui montrer que ce n’était pas le moment de m’adresser la parole. Quelques secondes après il s’installait du coté conducteur et mettait le contact. J’avais besoin de sommeil. Je réalisai soudainement que je ne lui avais toujours pas révélé ce que Margaret m’avait dit et que… Et qu’il n’était responsable en rien de tout ce qui m’arrivait.

“Je… Je représente quelque chose pour le Centre…’’, lui dis-je d’une voix étonnement douce.

“Quelque chose ?’’, répéta-t-il, ignorant à quel point j'avais été désagréable et blessante l'instant d'avant.

“Je ne sais pas, Margaret m’a dit que quand j’aurai retrouvé les parchemins, je comprendrai quelle est ma place et ce que je représente réellement pour le Centre.’’, lui expliquai-je alors qu’on rentrait tranquillement à l’hôtel.

“Oublions tout ça pour cette nuit. On verra ça quand on aura les rouleaux.’’, proposa-t-il en s’emparant de ma main.

Je commençais à apprécier ce geste, peut-être un peu trop. Ces derniers temps, tout avait été bouleversé, inversé… Mon esprit était chamboulé et je n’y voyais plus clair –surtout quand on me réveillait à pas d’heure. Je l’observai discrètement. Il était concentré sur la route mais avait sûrement remarqué mon regard. Je m’en moquais, il était là, pour moi. Rien que pour moi. Il avait risqué sa vie, sa liberté pour moi, pour que l’on trouve des réponses à MES questions. Car après tout, cette histoire, ces énigmes, tout était lié à moi seule et pourtant… Pourtant il m’accompagnait, me secondait dans cette sans rien me demander, sans rien me cacher… Qu’avais-je bien pu faire pour mériter un tel ami ? Parce qu’on ne pouvait pas dire que j’en avais fait beaucoup pour lui paraître agréable…

Souvent, quand je pensais à moi, une métaphore me venait à l’esprit. Toujours la même. Celle du Titanic qui heurtait un iceberg et coulait, laissant ce bloc de glace presque entier, simplement égratigné. C’était tout moi, les gens entraient dans ma vie et disparaissaient ensuite, ne laissant que quelques traces en moi. Tout le monde s’était soucié de ce navire réputé insubmersible. Mais qui s’était posé la question de savoir si cet iceberg ne s’était pas fendu de toute part pour ensuite se disloquer complètement et sombrer lui aussi dans un abîme froid et profond ? Jarod aurait été cette personne, s’il avait vécu en 1912. Hélas –ou heureusement pour moi- il était ici, à essayer de réparer ce fantôme de glace qui se révélait bien plus fragile que tout le monde ne se l’imaginait…

***

Je fermai les yeux de nouveau, espérant dormir un peu plus longtemps que la fois précédente. D’après Jarod, nous n’aurions pas les rouleaux avant l’heure de midi, de quoi rattraper quelques heures de sommeil.

J’étais tournée sur le coté, Jarod avait pris place dans le fauteuil. Il lisait les dossiers qu’il avait apportés avec lui. J’étais troublée, je ne parvenais pas à savoir dans quel état d’esprit il se trouvait. Me faisait-il la tête à cause de la réaction brutale que j’avais eue un peu plus tôt ? Je n’en avais aucune idée, il n’avait pas ajouté un mot depuis notre dernière conversation, dans la voiture. Je n’osais pas non plus lui adresser la parole, de peur de le déranger ou de, peut-être, l’agacer.

Comment faisait-il pour me supporter ? Je n’en savais rien, pourtant, un fait était certain : je pouvais être extrêmement… Irritante, quand je m’y mettais. Si je réussissais à ne pas lui faire le moindre reproche ou remarque pendant plus d’une heure, c’était vraiment que je ne me sentais pas bien. C’était comme une seconde nature pour moi d’être désagréable à souhait. Je ne pouvais pas m’en empêcher, c’était plus fort que moi, une sorte de défense par l’attaque si on pouvait appeler ça comme ça.

Jarod commençait sérieusement à piquer du nez, son dossier glissait de plus en plus, jusqu’à atterrir sur ses genoux. Je repoussai les draps et resserrai d’un geste vif la ceinture de mon peignoir. Je m’approchai sur la pointe des pieds afin de rejoindre le fauteuil ou somnolait –gisait serait le mot juste- Jarod. Avec une dextérité que je ne me soupçonnais pas avoir, je lui ôtai les quelques feuilles des mains et les déposai sur la table de nuit.

Un dilemme s’opposa à moi… Devais-je simplement remonter la couverture sur ses épaules et le laisser se démonter le dos simplement pour… Enfin pour… Veiller sur moi pendant la nuit. Ou était-ce mieux de le réveiller et de lui conseiller de rejoindre son lit, lui assurant que j’étais une grande fille capable de dormir seule dans sa chambre ? Je restai plantée là un moment, une main sur le menton –la position de ce bon vieux Sydney me sera peut-être d’une grande aide ?- et réfléchissant à la situation. Je me penchai doucement, approchant ma bouche de son oreille pour murmurer.

“Jarod… Jarod, réveille-toi…’’, chuchotai-je de la voix la plus basse possible.

“Hum…’’, fit-il en réponse –plutôt évasive.

“Allez, viens…’’, marmonnai-je dans l’effort.

J’avais passé un bras dans son dos et l’obligeai à se lever contre son gré. On ne pouvait pas dire qu’il y mettait du sien, j’avais l’impression de déplacer un poids mort de cent kilos. J’avançai par petits pas, me demandant comment j’allais parvenir à le « traîner » jusqu’à sa chambre. J’arrivai à la hauteur du lit alors qu’il reprenait ses esprits, clignant des yeux car la lumière du plafonnier le dérangeait.

Mais là, je commis une terrible erreur… Celle de me cogner dans le pied du lit, ce qui nous fit nous effondrer littéralement sur le matelas. J’avais entraîné Jarod dans ma chute en voulant me rattraper à lui mais n’étant pas encore alerte, il n’eut pas le réflexe de se maintenir debout.

Je me retrouvai donc de nouveau sur le coté mais avec un certain Caméléon affalé sur moi, la tête enfouie dans mon cou. Je savais que si je ne me dégageais pas sur le champ, il s’endormirait sur moi et c’en était hors de question. Je voulus le repousser mais étant donné qu’il me recouvrait totalement et que je n’avais pas une position très… Pratique, je ne réussis pas à le pousser.

“Jarod… La plaisanterie a assez duré, je sais très bien que tu fais exprès…’’, lui fis-je remarquer en me tournant sur le dos pour tenter de le soulever. “Jarod, s’il te plaît, arrête de te payer ma tête et tire-toi de là !’’, m’escrimai-je à le réveiller.

J’attendis une seconde, espérant une réaction qui ne tarda pas à se faire voir. Ou plutôt entendre… Il se foutait de moi ? Il ronflait ! Jarod ronflait ! Non mais c’était le comble, comment pouvais-je dormir à moitié étouffée par un Caméléon qui grinçait à tout va ?

Je soupirai, à la recherche d’un moyen de me débarrasser de lui. Je n’arrêtais pas de me dire qu’il se moquait de moi, ce n’était pas possible, il allait éclater de rire et me laisser tranquille… Non ?

“Jarod, je te préviens, si tu ne fonces pas immédiatement dans ta chambre, un seul coup de genoux bien placé et je peux te dire qu’aucun petit Jarod ne courra jamais dans tes bras en criant « Papa » !’’, le menaçai-je d’une voix explicite.

Et voilà, il éclate de rire ! Qu’est-ce que j’avais dit ? Un vrai gamin ! Il prit appui sur ses mains qui étaient placées de chaque coté de moi. Il plaça son visage au dessus du mien, ses yeux luisaient littéralement de malice. Je ne bougeais plus, que préparait-il encore pour me mettre en boule ? Je m’attendais au pire…

Ses lèvres se fendirent en un large sourire, découvrant deux rangées de dents bien blanches. Je commençais sérieusement à me faire du souci pour ma santé mentale… et pour la sienne par la même occasion.

Et en moins d’une seconde, il se colla à moi et m’embrassa furtivement avant de se relever et de filer dans sa chambre, me laissant en plan. Je n’avais pas bougé d’un poil, la bouche entrouverte, les mains de chaque coté de mon visage. Je restai immobile, le temps d’assimiler les évènements qui venaient de se dérouler.

Il venait bien de m’embrasser ?

C’est bien Jarod, le Caméléon qui m’a embrassé ?

Je suis le Chat ?

Je me suis laissée piéger par la Souris ?

Est-ce que j’avais fumé quelque chose ?

Je secouai la tête, il allait me le payer cher, très cher… Je bondis du lit, ouvrant la porte d’un geste violent et me ruai dans sa chambre. Je tournai la poignée et entrai telle une furie.

Il était confortablement allongé sur son lit, sur le dos et les bras croisés derrière la tête. J’avançai d’un pas décidé et tout s’accéléra contre mon gré. Je me retrouvai sur lui, enserrant son visage de mes mains et l’embrassant avec une fougue qu’il n’avait certainement jamais osé imaginer. Je le sentis glisser ses bras dans mon dos, m’obligeant à me rapprocher de lui.

Je m’écartai de lui après quelques secondes, à bout de souffle, et le fixai intensément. Cette fois-ci, c’était à son tour de se retrouver bouche bée. La moindre pensée ou remords avait complètement déserté mon esprit. Exceptée une, je n’avais qu’une envie, qu’un seul désir, un seul besoin : LUI.

Et dans un même mouvement, nos lèvres se rencontrèrent de nouveau pour se fondre en un baiser. La nuit n’allait pas être aussi calme que je l’avais espéré mais à cet instant, c’était le moindre de mes soucis…

***

Chapitre 8

J’ouvris les yeux, clignant des paupières pour me réveiller davantage. Je sentis de la chaleur auprès de moi, je tournai alors la tête et l’aperçus. Elle était là, endormie tout contre moi, un bras en travers de mon torse. Ma main vint caresser son épaule dénudée, sa peau était si douce. Elle avait posé sa tête sur moi de sorte que je ne puisse voir son visage. Seule sa sombre et parfumée chevelure me chatouillait le nez à mesure que nous respirions. Je détournai le regard, essayant de lire l’heure qu’affichait ma montre sur la table de nuit.

La matinée s’achevait, cela faisait bien longtemps que j’avais passé autant de temps au lit. Mais le sommeil avait été de… courte durée. Je n’avais aucune envie de bouger, c’était si agréable de rester auprès de Parker, réchauffé par la chaleur que dégageait son corps. Si le Paradis avait un nom, c’était le sien « Ange », cela correspondait parfaitement.

Elle remua à coté de moi, enroulant un peu plus sa jambe autour de la mienne, collant son front au bas de ma joue. Mon bras droit, qui se trouvait dans son dos, me permit de resserrer mon étreinte autour d’elle. Parker semblait apprécier, j’eus même l’impression qu’elle souriait légèrement. Je décalai la tête de façon à déposer un baiser sur son front et là, comme par magie, deux océans s’offrirent à moi. Je la fixai un instant, comme subjugué, hypnotisé par ce sublime regard qui me dévisageait.

“Bonjour.’’, murmura-t-elle avec une extrême douceur.

“Bonjour.’’, trouvai-je simplement à lui répondre, très légèrement surpris de la voir ainsi.

“Tu crois que c’est la réalité tout ça ?’’ demanda-t-elle, laissant ses doigts parcourir mon torse dénudé.

“La réalité ? Et bien… Je trouverais ça étrange que nous fassions le même rêve au même instant, tu ne penses pas ?’’, répliquai-je, préférant écouter sa version des faits.

“Hum…’’, fit-elle en se levant, n’oubliant pas de s’enrouler dans un drap.

“Qu’est-ce que tu fais ?’’, questionnai-je, craignant qu’elle ne regrette ses actes, encore…

“Je vais prendre une douche, tu viens ?’’, me proposa-t-elle le plus naturellement du monde.

Je ne fis ni une ni deux, j’attrapai la couverture et la suivis d’un pas pressé. Je me précipitai dans sa chambre avant qu’elle ne change d’avis et ne referme la porte –à clé, bien entendu. Après tout, le fait que la tuyauterie de ma chambre fût en piteux état était un bienfait quelque part.

***

J’étais assis sur le bord du lit, les coudes plantés dans les genoux et les mains soutenant mon visage. Je n’arrêtais pas de ressasser la nuit, me persuadant qu’elle n’avait rien d’utopique ou de… surnaturel. Non, elle ne pourrait pas dire qu’il ne s’était rien passé ou qu’elle avait été –encore une fois- victime d’une faiblesse passagère ou inopinée.

Je venais juste de nettoyer sa blessure, comme je le faisais régulièrement afin d’éviter qu’elle ne s’infecte. Elle ne m’avait pas quitter des yeux, scrutant le moindre de mes gestes avec une attention particulière. Elle n’avait pas dit un mot, ne s’était pas plainte une seule fois. J’allais mettre beaucoup de temps à la convaincre de se montrer comme elle est réellement, à ne pas jouer les surhommes. Pourtant, certaines choses avaient bel et bien évolué.

On frappa à la porte, Parker revenait déjà avec les cafés qu’elle s’était proposée d’aller chercher. Car elle avait quelque peu changé durant cette seule nuit, pour se transformer en une femme serviable, accueillante et très souriante. En bref, tout le contraire de LA Parker que tout le monde connaissait. Mais des efforts restaient à faire, c’était évident que personne ne pouvait se métamorphoser complètement en quelques heures.

Je tournai la poignée et les bras m’en tombèrent. Un homme de trouvait dans le couloir, une boîte dans les mains. Il était de type marocain, quelques rides partaient des coins de ses yeux brillants. Il ôta la vieille casquette vert pastel –et trouée- qu’il portait et me fit un signe de tête.

“Vous êtes bien M’Sieur DJarod ?’’, demanda-t-il en serrant le coffret contre lui.

“C’est bien moi, l’ami d’Omar.’’, lui affirmai-je en souriant, de façon à le mettre plus à l’aise.

“Ah, c’est bon alors, il vous a décrit aussi. Bah tenez.’’, dit-il en me tendant la boîte dont je m’emparai avec délicatesse.

“Je vous remercie, vraiment, merci pour tout !’’

“Bah de rien hein ! J’avais une autre livraison à faire dans le coin alors… Et puis, j’étais redevable à Omar et moi les dettes, j’aime pas ça ! Surtout entre amis, y’a rien de pire, vous trouvez pas ?’’, questionna-t-il devant mon manque d’intérêt certain pour ses pensées philosophiques du jour.

“Encore une fois merci, à bientôt !’’, le saluai-je en commençant peu à peu à fermer la porte.

Je crus qu’il n’allait jamais me laisser. Alors, je n’espérais qu’une seule chose : que la mer n’eut pas entièrement détruit les parchemins. Ils avaient été trouvés sur une plage donc les risques étaient conséquents.

Je reculai jusqu’au lit, posant lentement le coffret sur la couverture. J’avais tellement peur qu’un faux mouvement ne les abîme ou les détériore totalement. Je m’assis à coté, ne les quittant pas de yeux. L’envie irrésistible de soulever ce couvercle me tiraillait le ventre. Mais je me retenais, pas pour moi, pour Parker. Si j’avais été à sa place, je n’aurais pas aimé qu’elle les lise sans m’attendre. Quoique, je doute qu’elle m’aurait attendu en y réfléchissant bien… Soit. Moi, je la voulais à mes cotés quand je déroulerais ces parchemins vieux de plus d’un siècle, sentant ce parfum salé d’eau de mer mêlé à celui de l’histoire et du mystère.

La porte s’ouvrit à ce moment-là, elle ne l’avait pas encore refermée qu’elle laissa les gobelets de café s’écraser au sol. Elle était manifestement surprise de découvrir que les rouleaux étaient déjà en notre possession.

“Est-ce que ce sont eux ?’’, s’assura-t-elle afin de savoir si elle devait continuer à ouvrir de grands yeux.

Je ne fis qu’un signe de tête et elle me rejoignit bien vite, s’installant en tailleur, juste au milieu du lit. Elle avait joins ses mains et collé ses index contre sa bouche, penchant quelque peu la tête. Je disposai mes doigts sur les deux cotés de la boîte, m’apprêtant à soulever le couvercle quand Parker m’interrompit.

Je tournai mon regard dans sa direction, traduisant mon incompréhension. Elle voulait les lire depuis si longtemps, pourquoi s’y refuser désormais ?

“Pas maintenant.’’, me demanda-t-elle, la gorge serrée.

“Mais…’’

“J’ai un mauvais pressentiment. Je voudrais que nous rentrions à Blue Cove, dans un endroit qui m’est familier, s’il te plaît.’’, me supplia-t-elle presque, attrapant mon bras d’une main tremblante.

“Tes voix ?’’, questionnai-je, inquiet.

“Elles me conseillent de partir.’’, affirma-t-elle. “Ca a commencé quand je suis entrée dans la pièce, ce n’était pas clair au début mais maintenant ça l’est. Il faut que nous partions avant que quelque chose ne nous en empêche.’’, ajouta-t-elle, se levant pour aller faire son sac.

Je me retrouvai seul dans ma chambre, si elle entendait ses voix, c’était que nous étions en danger. Alors je fis comme elle, regroupant le peu d’affaires que j’avais apportées ou achetées ici. Je m’emparai ensuite de cette boîte pour aller attendre Parker dans le couloir. Elle sortait à cet instant alors elle passa devant moi pour descendre les escaliers. Arrivés à mi-parcours, je la vis grimacer, se soutenant le ventre.

“Ta blessure ?’’

“Tu l’as bien soignée, c’est plutôt mon ulcère… Il faut toujours qu’il se réveille au mauvais moment celui-là.’’, maugréa-t-elle en ouvrant la porte qui menait au parking.

Nous nous installâmes dans la voiture et partîmes en direction de l’aéroport. Avec un peu de chance, un vol à destination des Etats-Unis partirait le jour même et il resterait deux places.

***

Je m’assis à coté de Parker, soupirant de découragement. Nous devrions attendre jusqu’au soir, à vingt heures pour obtenir deux places sur un vol American Airlines. Nous serions arrivés quoi, trente minutes plus tôt, nous aurions eu cette seconde place sur le vol de quinze heures. Nous jouions vraiment de malchance pour le coup.

“Tu as payé les billets ?’’, questionna Parker.

“Oui pourquoi ?’’, fis-je, intrigué…

“Il te reste combien ?’’, demanda-t-elle encore.

“Et bien… 800 dollars en liquide, mais je peux retirer… sur le compte du Centre, si nécessaire bien sûr.’’, précisai-je avec un petit sourire complice auquel elle répondit de manière plus… carnassière, oui, c’était le mot.

“Je reviens.’’, m’annonça-t-elle en s’éloignant.

Je la suivis du regard, elle aborda un homme au comptoir d’embarquement. C’était celui qui se trouvait juste devant nous précédemment et qui avait acheté l’avant dernière place sur le vol de quinze heures. A peine quelque minutes plus tard, Parker fut de retour, un air victorieux imprimé sur le visage.

“Tu me passes tes 800 dollars et tu vas rendre nos billets, essaie de te les faire rembourser un minimum. Ah oui, et, prends le dernier billet de quinze heure.’’, me dit-elle, empoignant la liasse que je lui tendais, incrédule.

Je me dirigeai donc vers le comptoir afin de suivre ses recommandations et elle me rejoignis quelques seconde après, le billet du type en main.

“Tu veux savoir ce que je lui ai dit ?’’

“Je crois qu’il ne vaut mieux pas…’’, murmurai-je imaginant déjà le plan diabolique qu’elle avait dû élaborer pendant le quart d’heure durant lequel nous avions patienté.

“Disons que j’ai tenté ma chance… Et que ça a fonctionné.’’, jugea-t-elle en haussant les épaules d’un air qui se voulait tout sauf innocent. “Il avait une alliance, je l’ai vu dire un chaleureux au revoir à une jeune femme tout à l’heure. Et en passant à coté de lui, j’ai remarqué qu’il contemplait la photo d’une femme différente, plus âgée, ressemblant davantage à la mère de famille qui devait lui servir de bouche-trou.’’, expliqua-t-elle sans la moindre compassion.

“Et tu as joué la carte du chantage. « Si vous ne me vendez pas ce billet, votre femme sera certainement ravie de savoir que vos voyages sont un peu plus que professionnels ».’’, imaginai-je en souriant néanmoins.

“C’est presque ça, tu as juste oublié la partie où je disais que je la connaissais très bien.’’, précisa-t-elle.

“Mais s’il t’avait posé des questions ?’’, m’intéressai-je, fronçant les sourcils.

“Je lui aurais fait comprendre qu’il ne fallait mieux pas tenter le Diable, il aurait eu plus à perdre que moi !’’, répliqua-t-elle simplement.

Je secouai la tête, je me demandais parfois si c’était bien la même Mlle Parker inoffensive et innocente que j’avais connue un peu plus de trente ans auparavant. Je la retrouvais, plus piquante, déterminée et… cynique que jamais. Peut-être cette nuit n’avait-elle eu aucun effet au bout du compte ? J’espérais de tout mon cœur que non. Les choses n’étaient en tout cas pas si bien parties, il fallait avouer que l’idée de me voir me promener main dans la main avec Parker en plein Blue Cove me paraissait légèrement… insolite.

“Jarod ? Tu te magnes un peu ?’’, me héla Parker, marchant vers le couloir d’embarquement.

Je jetai un œil à ma montre : 14h45. Pour être immédiat, cet embarquement l’était pour le moins. J’attrapai mon sac et la suivis en accélérant le pas.

***

Nous étions enfin arrivés à Blue Cove après un voyage particulièrement fatiguant. Nous étions partis à quinze heures et nous nous étions posés à New York à seize heure, heure locale. Autrement dit, avec un décalage horaire de six heure, nous n’étions pas prêts de nous remettre.

Le taxi approchait de chez Parker, le temps n’était toujours pas au rendez-vous, maussade, automnal, tout simplement. Elle dormait sur moi, la tête appuyée sur mon épaule. J’aimais tant quand elle se laissait aller, tout coulait de source, tout était simple.

“Parker, réveille-toi, on va arriver.’’, lui murmurai-je à l’oreille en la secouant doucement.

“Hum…’’, fit-elle en ouvrant un œil, inspectant les alentours pour s’assurer que je ne disais pas n’importe quoi.

Elle se redressa, s’emparant de ma main qu’elle sera entre les siennes, entrelaçant ses doigts au miens. Un tel geste de sa part me surpris mais j’étais tellement heureux qu’elle ne nie pas la vérité que je ne m’y attardai pas plus longtemps.

Le véhicule s’arrêta, nous descendîmes puis récupérâmes nos affaires avant de courir se réfugier au chaud. Nous nous écroulâmes directement sur le sofa, dans les bras l’un de l’autre. Nous avions besoin d’un peu de repos alors nous nous accordâmes une petite sieste bien agréable.

***

Je réveillai de nouveau Parker mais cette fois-ci avec une grande tasse de café brûlant et un bon feu allumé dans la cheminée. Elle s’empara du mug, l’entourant de ses mains et soufflant sur le liquide encore brûlant et fumant.

“Je crois que je vais devoir te laisser quelques heures.’’, suggérai-je à contre cœur.

“Pourquoi ?’’, s’enquit-elle, presque inquiète.

“Gem est à Atlanta, je ne tiens pas à le laisser seul plus longtemps.’’, lui expliquai-je en m’asseyant un instant à ses cotés.

Elle s’avança vers moi et nous nous embrassâmes tendrement. Des frissons me remontèrent la colonne vertébrale, c’était si… bizarre.

“Alors reviens-moi vite.’’

Je hochai la tête avant d’ouvrir la porte et de m’arrêter net.

“Pour être rapide, j’ai été rapide, tu ne trouves pas Parker !’’, lançai-je afin qu’elle tournât la tête dans ma direction.

“Gemini ?’’, s’étonna-t-elle avant de découvrir qu’il n’était pas venu seul.

“Bonjour mon frère.’’, fit Ethan avant que je ne me jette dans ses bras.

Pour une surprise, elle était totale. Je ne leur demandai même pas comment ils s’étaient trouvés et comment ils étaient venus, dans la famille « j’entends des voix plus précises qu’un plan » j’avais déjà la sœur alors il ne me manquait plus que le frère !

Nous les invitâmes à s’installer et leur apprîmes immédiatement tout ce que nous avions découvert ici, ainsi qu’en Afrique. Ils en restèrent tout aussi abasourdis que nous l’avions été, surtout Ethan qui était davantage concerné que Gemini. Evidement, la première question qu’ils posèrent fut de savoir ce que contenaient les rouleaux… Interrogation à laquelle nous ne pûmes (@ndy : rholala, les passés simples, qu’est-ce que c’est moche parfois… Tem : MDRRR! Ouais c clair!! Je te le fais pas dire!) répondre étant donné que nous ne les avions toujours pas déroulés.

Ce fut Parker qui se leva pour sortir la boîte du sac dans lequel nous l’avions rangée. Elle la déposa sur la table et plaqua ses mains sur le couvercle, prenant une profonde inspiration. Je m’approchai d’elle, me mettant à genoux à ses cotés. Ethan et Gemini se trouvaient de l’autre coté, face à nous.

“On y va ?’’, demanda Parker.

“On doit le faire, on en a besoin.’’, assurai-je en appliquant ma main sur la sienne.

Elle souleva rapidement le couvercle, me tendant ensuite le premier rouleau et s’emparant du second pour le dérouler.

Je défis d’abord le nœud puis laissai le rouleau inférieur glisser dans ma main, découvrant peu à peu d’anciennes écritures. La première remarque qui me vint à l’esprit fut qu’ils étaient certainement bien plus âgés que ce que l’on avait imaginé. L’encre, le papier, tout semblait davantage correspondre au XVIIème siècle, ainsi que le style d’écriture.
Ils étaient majoritairement en anglais, ce qui faciliterait la lecture car mon latin était quelque peu rouillé. On aurait dit des sortes d’incantations ou d’invocations d’un Dieu quelconque.

“Suffering will change your thoughts and death will make you change your choices.’’(1), lut Parker après avoir étalé son parchemins sur la table basse.

“Sadness will be the only one feeling you will experience.’’(2), énonçai-je après elle.

“Celui qui a écrit ça n’avait pas l’air de très bonne humeur…’’, remarqua Parker en haussant les épaules.

“C’est le cas de le dire.’’, soupirai-je en continuant ma lecture.

Elle se leva, préférant lire à haute voix, tout en faisant les cent pas dans le salon. J’avais déjà noté que le stress lui donnait souvent envie de se dégourdir les jambes, chacun sa manière d’évacuer la tension. Celle-ci s’était d’ailleurs particulièrement accumulée ces derniers temps.

Ethan s’était assis sur le sofa afin de lire par-dessus mon épaule, il semblait imprégné par ses écrits. Ceux-ci ne nous apprenaient que très peu de choses. A en croire l’auteur, quelqu’un l’avait trahi, ce qui avait donné lieu à cette malédiction. Mais qui était cet homme ? Car il s’agissait bien d’un homme, j’étais formel, le style d’écriture, ainsi que la manière de parler, me permettaient d’être catégorique.

“Mais qui peut bien être à l’origine de tout ça ?’’, s’interrogea Parker, une main lui massant la nuque alors qu’elle faisait des aller et retour devant la cheminée.

“Précisément, à part si nous trouvons un nom, ce serait difficile.’’, répondis-je en retournant le rouleau, à la recherche d’une quelconque trace.

“Je n’entends pas mes voix, et toi ma sœur ?’’, s’inquiéta Ethan en observant Parker.

Celle-ci hocha négativement la tête, nous n’étions à priori pas prêts d’avoir de nouvelles informations. Je continuai ma lecture.

“That is why I’ll make your life become unbearable as well as this of your descendants…(3)’’, continuai-je à lire tout haut. “A mon avis, la seule certitude que nous avons est celle que l’auteur faisait partie des proches d’un de tes ancêtres Parker.’’, affirmai-je.

“Il doit bien y avoir un indice quelque part !’’, s’exclama Parker, perdant peu à peu patience.

Elle retournait son parchemin dans tous les sens, sans grand ménagement. Je l’observais d’un air amusé, elle était toujours si impulsive, j’avais l’impression que le pouvoir émanait d’elle comme la beauté émanait d’une toile. Parker était une œuvre d’art à elle seule, à la fois belle et différente suivant le regard que l’on portait sur elle ou le moment où on la contemplait. *Les effets du temps n'avaient aucune prise sur elle, elle restait toujours aussi belle, peu importait la situation. Un sourire pouvait tour à tour sembler diabolique, énigmatique puis tout à coup se fendre d'une douceur extraordinaire et irréelle. Ses traits semblaient changer au bon gré de ses humeurs tout comme une peinture prenait son essence dans la couleur… * (ce passage entre étoile m’a été gracieusement offert par mon adorable et talentueuse Tem, t’es trop douée, qu’est-ce que tu veux que je te dise !)

“J’ai quelque chose !’’, cria-t-elle presque. “Enfin… je crois.’’, rectifia-t-elle, approchant le rouleau tout près de son visage afin de pouvoir mieux le disséquer.

“Montre ?’’, fis-je en arrivant à sa hauteur.

“Là, tu vois ?’’, m’indiqua-t-elle en posant son doigt sous une ligne. “J’ai l’impression qu’il y a comme une tâche.’’

J’étudiai la marque en question, sans pouvoir réellement en déduire la nature. Je me tournai quelque peu de manière à ce que le feu m’éclaire davantage quand Parker m’arracha littéralement le parchemin des mains.

“Qu’est-ce qu’il y a ?’’, s’enquit Gemini, intrigué par les réactions de Parker.

“Attends…’’

Elle avança les écrits juste au dessus du feu, je voulus l’arrêter mais elle me lança un regard plutôt dissuasif. Les flammes dansaient sous le papier, le noircissant par endroit, sans jamais le détériorer. Elle tenait le parchemin du bout des doigts, évitant de se brûler. Je voyais ses sourcils se froncer à mesure qu’elle déroulait le rouleau. Je m’approchai et me penchai pour voir ce qu’elle était en train de faire quand je compris…

“Que fais tu ? Il ne faut pas les abîmer surtout !’’, s’étonna Ethan qui dévisageait sa sœur.

“Non, j’apporte des réponses ! Regardez !’’, lança-t-elle en brandissant la relique. “Rien de plus élémentaire, trop pour toi Jarod, ce qui explique que tu n’y aies pas pensé !’’, répliqua-t-elle avec un sourire complice. “Du jus de citron ! C’est vieux comme le monde ! Ou du moins, autant que ces parchemins ! En le chauffant, il apparaît légèrement bruni.’’

“Parker ?’’, l’appelai-je alors qu’elle essayait désespérément de décrypter les écritures.

“Oui…’’, fit-elle, captivée par sa lecture.

“Je t’adore.’’, murmurai-je avec un sourire.

On disait de moi que j’étais très perspicace mais que dire d’elle dans ce cas ? Elle ne disposait d’aucun don particulier et pourtant, elle était extraordinaire et douée d’un esprit qui surprenait toujours. Toujours à l’affût du moindre détail, de la moindre piste, toujours à proposer des idées, des suggestions. J’aurais pu dire que c’était quelque part grâce à moi, que durant ces cinq années, je lui avais imposé un précieux entraînement mais il était évident que ce ne serait que renier son intelligence.

“Moi aussi.’’

Je sursautai, avait-elle vraiment prononcé ces deux mots ? Je ne m’y étais pas du tout attendu et je devais avouer que l’entendre me le dire me réchauffait le cœur. Peu à peu elle s’adoucissait et devenait plus tendre, ceci pour mon plus grand plaisir.

“Euh, désolé de vous interrompre mais… On pourrait savoir ce qu’il y a d’écrit sur ces parchemins ou c’est trop personnel ?’’, plaisanta Gemini en rejoignant Ethan dans le sofa.

“I can’t believe my own brother stole the heart of my wife Catherine…(4)’’, commença Parker, un noeud au fond de la gorge. “For that, he will have to pay. Abel Parker deserves respect and will show what happens when someone, even you Cain, tries to fool him.(5)’’, continua-t-elle, sa voix tressautant à mesure qu’elle lisait. “My revenge will be worse than everything you can imagine. Your descendants will all have to pay the price of betrayal.(6)’’

Le rouleau s’échoua sur le sol, Parker restait comme pétrifiée, la bouche entrouverte et les regard vide. Ses mains tremblaient et je parvenais presque à percevoir les battement de son cœur à travers sa cage thoracique. Je m’approchai d’elle, la prenant dans mes bras mais elle garda la même position, incapable de faire un geste. Elle était bouleversée, tous ces noms qu’elle connaissait mais qui représentaient des personnes dont elle n’avait jamais entendu parler.

Il est bien connu que la jalousie est l’un des mobiles les plus fréquents à l’origine d’un meurtre. Mais de là en jeter une malédiction sur toute la descendance d’un homme, de son propre frère… Il n’y avait plus aucun doute, la folie des Parker n’était pas une tare si récente. Tous ses ancêtres étaient peu à peu poussés vers le meurtre, la psychose, le mal et ces penchants se transmettaient à travers les générations de la famille Parker. Une question m’intriguait encore néanmoins : Et Parker ? Elle n’était pas comme eux, au fond d’elle, jamais elle ne ferait de mal par simple plaisir ou coup de folie.

Je la sentis qui pleurait, serrée tout contre moi. Je caressai ses cheveux, son dos aussi afin de la rassurer. Pour le moment, elle n’avait besoin que d’une présence qui lui apporterait sécurité et réconfort, ni plus, ni moins. Ethan s’approcha et ramassa le parchemin pour en continuer la lecture.

“Each of your descendants will be males and filled by evil until the end of Parker family.(7)’’

“Mais je ne comprends pas, et vous Mlle Parker? Jusqu’à preuve du contraire, vous êtes une femme…’’, s’interrogea Gemini, se grattant la tête d’un air embêté.

“Il a raison…’’, confirmai-je en réfléchissant à la situation. “Il n’y a rien d’autre d’écrit Ethan ?’’

“Non, pas sur celui-ci mais l’autre rouleau devrait vous intéresser.’’, expliqua-t-il en s’agenouillant près de la table, prêt à nous lire la suite. “La dernière phrase n’a pas été écrite de la même main, ni au même moment certainement.’’, précisa-t-il avant de commencer sa lecture.

***

Chapitre 9

“The Centre shall rise, the Chosen will be found, a boy named Jarod will make her reborn.(8)’’

“L’Elue est une femme?’’, m’exclamai-je avec étonnement alors que j’étais persuadée qu’il s’agissait d’un homme.

“Will make her reborn… ’’, répéta Jarod, plongé dans ses pensée. “Parker, je crois que l’Elue…’’

“Non !’’, l’interrompis-je, ne souhaitant pas en entendre plus.

“Ce n’est pas un hasard si tu es la seule descendante féminine des Parker pour le moment ! Et puis tu es issue du clonage ; Raines a inconsciemment réalisé la prophétie et fait de toi l’Elue, le jour où il a inséminé ta mère !’’, s’écria-t-il pour tenter de me convaincre.

“C’est vrai que tout coïncide Mlle Parker, vous êtes une femme, comme Ethan vous entendez des voix, vous êtes la seule de votre famille à ne pas être un monstre et cette renaissance… Ils font sûrement allusion à votre clonage, c’est comme si la même personne était née deux fois !’’, remarqua-t-il en s’approchant de moi, arborant exactement le même air suffisant que Jarod lorsqu’il trouve la réponse à une question.

Je portai mes mains à mes tempes, c’en était trop pour moi. Jarod passa un bras dans mon dos, me guidant jusqu’au sofa afin que je m’asseye un instant. Je secouai la tête, j’étais convaincue que si quelqu’un avait le pouvoir de réduire le Centre et le Triumvirat en poussière, c’était bien Jarod… Pas… Moi…

“A mon avis, c’est ton arrière grand-mère qui a fait de toi l’Elue, la seule qui pourrait rompre le mauvais sort. Elle a ajouté cette phrase avec l’aide d’Ukagio de manière à protéger la descendance des Parker.’’, supposa Jarod.

“Et elle a sacrifié sa famille pour obtenir ce pouvoir… Ange…’’, soupirai-je en me souvenant de cette petite fille qui m’était apparue à plusieurs reprises sur l’Île de Carthis.

“Elle a voulu aider sa mère à les cacher et elle en a payé le prix.’’, conclut-il en posant sa main sur la mienne.

“Elle se sont fait assassiner pour permettre à leurs descendants d’emprunter le bon chemin, le jour venu…’’, déduis-je, une larme glissant sur ma joue.

Quand je pensais au sacrifice qu’elles avaient dû faire afin de protéger les leurs. Elles ne savaient même pas si un jour la malédiction prendrait fin mais elle en ont tout de même pris la décision. Je les admirais, elles avaient fait preuve d’un tel courage. Aujourd’hui c’était à moi de faire en sorte que leur choix aie des conséquences et je comptais honorer leur mémoire. Mais comment faire ? J’étais l’Elue, d’accord, mais qu’est-ce que cela signifiait réellement ? Pour moi ce n’était qu’une simple phrase, ni plus ni moins. Je savais simplement que je devais agir, je devais tout faire pour que leur mort ne soit pas inutile car sinon, je m’en voudrais toute ma vie.

“Je vais aller voir Raines et Lyle.’’, déclarai-je sûre de moi.

“Quoi ?’’, s’écria Jarod, me lançant un regard ahuri.

“Je sais qu’il connaît les rouleaux, je veux dire… Je sens qu’il connaît leur signification, ce qu’ils impliquent… Mes voix sont formelles, je suis persuadée qu’il m’en apprendra bien plus que n’importe quelles recherches.’’, affirmai-je, sûre de moi.

“Laisse-moi au moins t’accompagner.’’, me demanda Jarod, sachant pertinemment que ses efforts ne serviraient à rien.

“Non, je dois y aller seule. Contacte Sydney et Broots plutôt, dis-leur de vous rejoindre ici.’’, lui conseillai-je avant que Gemini ne s’approche de nous.

“Ils se sont sauvés du Centre.’’, annonça-t-il sous deux paires d’yeux étonnés. “Ils ont récupéré le corps de Papa au Centre et ils l’ont emmené, ils m’ont dit de rester caché et c’est là qu’Ethan m’a retrouvé.’’, précisa-t-il ensuite, une main sur l’épaule de notre demi-frère.

“Où sont-ils allés ?’’, s’enquit Jarod, plus inquiet que jamais.

“Sydney m’a parlé d’un coin paisible, un endroit où son frère repose déjà.’’, expliqua-t-il en haussant les épaules, ne se doutant pas que Jarod et moi comprendrions de quel lieu il s’agissait.

Nous échangeâmes un sourire puis je me dirigeai vers la porte, les rouleaux en main. Je sentis sa main sur ma hanche, m’obligeant à me tourner vers lui. Je déposai la boîte sur la commode près de l’entrée puis passai les bras autour de son cou, respirant son parfum. Il me serra contre lui, j’aimais tant cette sensation de sécurité. C’était avec Thomas que je l’avais ressentie la première fois ; j’avais eu beaucoup de mal à accepter ce sentiment. Je détestais devoir avouer mes faiblesses et apprécier la sécurité revenait à reconnaître une forme de fragilité. Mais désormais, lorsque Jarod m’enlaçais, je savais que j’avais le droit d’aimer ça et je ne m’en priverais plus. C’était une sorte de « bonne résolution », si l’on pouvait appeler ça comme ça, bien entendu…

“Pendant que tu seras là-bas, j’essaierai de retrouver Maman et Emily, elles doivent savoir pour Papa.’’, me murmura-t-il à l’oreille avant que je ne m’écarte de lui.

“Courage, je sens que la fin est proche. Ne t’inquiète pas pour moi, mes voix semblent calmes, c’est bon signe.’’, le rassurai-je du mieux que je pouvais, esquissant un faible sourire.

“Fais très attention à toi, au moindre problème, tu m’appelles. Tiens, prends mon portable.’’, dit-il en me tendant l’objet.

“Merci.’’, répondis-je avant de l’embrasser le plus tendrement possible.

Je m’éloignai ensuite, ouvrant déjà la porte pour disparaître en un clin d’œil, emportant le précieux coffret avec moi. J’avais peur de ne pas avoir fait le bon choix, de m’être mise en danger… Je secouai la tête tout en me mettant au volant de ma Porsche, elles avaient perdu la vie pour les Parker, pour… moi. Je devais en faire autant, je devais suivre les pas de ma mère, d’Ange, mon chemin était tout tracé, et ce, depuis des dizaines d’années.

***

Mes talons martelaient le sol marbré du Centre dans un claquement sourd qui traduisait toute ma détermination. Les regards se retournaient sur mon passage, non pas que je faisais tourner les têtes –enfin, si, un peu… il fallait bien se l’avouer- mais plutôt qu’ils étaient étonnés de me voir enfin de retour. Je percevais des chuchotements, des messes basses sans curé –quoique, au Centre, ce n’était pas surprenant- et des remarques pas toujours agréables. Je n’en avais que faire d’eux, de ces larbins sans avenir, dépassés par les évènement et totalement ignorant de tout ce qui se tramait sous leurs yeux depuis des décennies.

Je pénétrai l’antre morbide de ce qui me servait de géniteur sans même frapper à la porte. Il sursauta quand il s’aperçut de qui il s’agissait. Il se leva néanmoins, appuyant ses poings fermés sur la table pour se donner de l’importance. Ceci me fit sourire, on aurait plutôt dit qu’il s’aidait de son bureau pour se maintenir debout, âgé comme il l’était, je n’étais pas surprise.

“Heureux de vous revoir parmi… Rhhh… nous Mlle Parker, après… Rhhh… Combien de jours déjà ? Quatre… Cinq ?’’, siffla-t-il en tentant de s’imposer de manière ridicule.

“Voir votre carcasse tous les jours n’est pas de tout repos, j’ai dû prendre quelques jours pour me remettre de ce choc.’’, rétorquai-je, bien décidée à ne pas lui céder le moindre avantage.

“Tiens !’’, s’exclama Lyle en entrant à son tour. “D’habitude, je ne me fie pas aux bruits de couloir mais cette fois-ci, j’ai voulu en avoir le cœur net !’’, expliqua-t-il en tournant autour de moi comme un lion autour de sa proie.

“Pourrait-on… Rhhh… Savoir où vous étiez pendant tout ce… Rhhh… temps ?’’, grinça le macchabée en faisant le tour de son bureau pour s’approcher de moi, manquant de se casser la figure sur son tapis… centenaire.

“Et vous, on peut savoir ce que vous faites en rentrant chez vous le soir ?’’, questionnai-je, lui montrant qu’il n’avait aucune emprise sur moi.

Il eut un air agacé mais ne dit rien. Lyle, lui, restait dans son coin, me dévisageant des pieds à la tête. Il arborait ce petit sourire vicieux qu’il esquisse habituellement en observant une paire de chinoise dans les couloirs. Cela ne me rassurait pas beaucoup… Il s’avança lui aussi et inclina la tête, cherchant probablement la prochaine pic qu’il comptait m’envoyer, il était si misérablement prévisible, d’un ennui mortel.

“Dis-moi, serais-tu allée faire un petit tour du coté de l’hémisphère sud par hasard ?’’, demanda-t-il, ses lèvres s’étirant davantage.

“Quelle perspicacité Lyle, tu m’étonneras toujours, dis-moi !’’, répliquai-je, me doutant qu’il faisait allusion à la couleur de ma peau légèrement brunie par le soleil africain.

“Trêve de bavardages, j’ai ici quelque chose qui devrait vous intéresser…’’, leur annonçai-je, lasse de ces discussions futiles, dénuées du moindre intérêt.

“Mr Raines le Bébé est…’’, s’interrompit Willie en m’apercevant dans la pièce.

Il avait juste passé sa tête dans l’entrebâillement de la porte et se mordait la lèvre inférieure, conscient le bêtise qu’il venait de faire. Raines soupira bruyamment, lui faisant signe d’entrer complètement.

“Le bébé ? Celui de Brigitte ?’’, m’enquis-je alors, sachant que j’allais l’agacer davantage.

“Aucun rapport, il s’agit d’un tout autre projet.’’, répliqua Lyle, souhaitant porter secours à son père.

“Ouais, c’est ça, prends-moi pour une abrutie.’’, lui rétorquai-je d’une voix grave. “Où est-il ?’’, repris-je très sérieusement.

“Ce ne sont pas… Rhhh… vos affaires. Que vouliez-vous nous montrer ?’’, questionna Raines, désignant la boîte que je tenais encore devant moi.

“Ce n’est rien.’’, me ravisai-je, pensant que retrouver l’enfant était désormais la priorité.

Je savais que pour découvrir l’endroit où ils le retenaient, je devais parvenir à me réintroduire au Centre. Ces voix, je les avais repoussées au départ mais aujourd’hui je les trouvais plus que précieuses. Elles me guidaient de plus en plus clairement et je les comprenais de mieux en mieux. Le grésillement qui me dérangeait auparavant laissait peu à peu place à des sons plus doux, presque mélodieux. Les différents tons s’intercalaient en rythme de manière à ressembler aux intonations d’une voix. Celle de ma mère, c’était évident. Et elle me parlait souvent, parfois juste pour me rassurer, d’autres pour m’aider à avancer et à cet instant, pour m’intriguer. Elle me persuadait de le retrouver, elle insistait, s’efforçait de m’attendrir. Mais c’était inutile, elle prêchait une convaincue. Un mot suffisait pour attiser ma curiosité et le mot du jour était « bébé ». Il ne m’en fallait pas plus pour avoir envie de me mener ma petite enquête…

“Vous avez l’air d’être trop occupés pour vous intéresser à mes petits soucis. Je vais donc vous laisser.’’, suggérai-je en me dirigeant vers la porte.

C’est alors que Lyle me barra la route, saisissant mon poignet. Je me dégageai rapidement, prenant bien soin de ne pas laisser tomber les rouleaux. S’ils les voyaient, j’étais sûre de ne jamais plus revoir cet enfant. Je le fusillai du regard, que voulait-il me faire comprendre ?

“Je vais t’accompagner à ton bureau si tu veux bien. J’ai quelques petites choses à te demander.’’, m’annonça-t-il en ouvrant la porte et se décalant pour me libérer le passage.

“Ai-je vraiment le choix de toute façon ?’’, questionnai-je en le doublant.

“Non.’’, prit-il tout de même la peine de répliquer, bien que la réponse fût courue d’avance.

Je laissai mes yeux s’attarder sur lui pendant que nous marchions dans le couloir. Il parlait tout en me tournant le dos, il ne me croirait pas dans tous les cas. Alors à quoi cela aurait-il servi qu’il me dans les yeux ?

“Alors ? Tu ne me dis pas ce que tu as fait pendant ces cinq jours ?’’, essayait-il de se renseigner.

“Et pourquoi le ferai-je ?’’

“Et bien…’’, commença-t-il avant que je ne l’interrompe.

“Certainement pas parce que tu es mon frère jumeau en tout cas.’’, terminai-je à sa place, lui esquissant un sourire carnassier lorsqu’il tourna la tête vers moi.

Il haussa les épaules puis entra dans mon bureau. Il prit immédiatement ses aises, s’installant dans l’un de mes fauteuils. Je m’assis en face de lui après avoir déposé les rouleaux dans mon coffre fort. J’appuyai mes coudes sur ma table en verre, déposant ensuite mon menton sur mes doigts entrelacés. Je le fixai un instant, cherchant déjà un moyen d’agir pour retrouver mon demi-frère. Ou mon cousin en l’occurrence…

“Je ne sais pas ce que tu trafiques, donc je ne sais pas si tu es au courant des dernières nouvelles.’’, m’expliqua-t-il en s’approchant de mon bureau.

“Qui sont ?’’, fis-je, le laissant entendre que je ne savais rien de la fusillade que nous avions échangée.

“Le père de Jarod est mort, je l’ai tué il y a cinq jours.’’, crut-il m’apprendre.

“Quoi ? Comment ?’’, feignis-je m’étonner.

“Un échange de tirs, je n’ai fait que riposter. D’ailleurs, ça me fait penser que tu as, comme par hasard, disparu ce même soir.’’, remarqua-t-il soudain.

“Une affaire personnelle à régler. Jarod est au courant pour son père ?’’, questionnai-je alors, histoire de me montrer intéressée.

“Evidement, il était avec lui. Ce petit gars est devenu un as de la gâchette ! Il tire aussi bien que toi, il m’a égratigné le bras.’’, fit-il en jetant un œil sur son épaule gauche.

“Oh…’’, m’attristai-je. “J’espère qu’il n’a pas bousillé l’un de tes superbes costumes Armani ?’’, me moquai-je.

“Une chance, ce n’était qu’un modeste Hugo boss du début de saison.’’, continua-t-il, une main sur le cœur, mimant le désespoir qui ne le tenaillait pas.

“Allez, laisse-moi maintenant. J’ai du travail à rattraper.’’, lui intimai-je en sortant quelques dossiers de mon tiroir.

“Parker ?’’

“Oui ?’’, répondis-je sans détacher mon regard de la feuille que je faisais semblant de lire.

“Je sais que tu caches quelque chose d’important mais je te conseille de ne rien tenter contre nous. Sydney et Broots ont comme par hasard disparu juste après toi et le corps du Major Charles s'est miraculeusement évaporé lui aussi. Etrange, tu ne trouves pas ?’’, m’avisa-t-il avant de s’éclipser.

Je soupirai, qu’est-ce qui leur avait pris de faire ça ? J’allais avoir du mal à me fondre dans le paysage. Il fallait que je trouve une explication relativement valable désormais. Je me creusai la tête pendant au moins un quart d’heure, l’inspiration ne me venait décidément pas. D’autant plus que ma dernière bouteille de whisky était malheureusement vide, le comble. Ou peut-être que si… Après tout, je ne leur devais rien alors je pouvais bien les endormir quelques jours. Juste le temps d’effectuer mes recherches. Je n’avais qu’à leur dire que Sydney avait un ami dans le besoin, et nous avions dû lui apporter notre aide. Ce qui me permettrait d’expliquer la raison pour laquelle j’étais réapparue la première, seule : je n’avais pas vraiment l’âme de Mère Térésa… A mon avis, ils ne se compliqueraient pas la tâche à chercher plus loin.
J’allais rouvrir mon tiroir afin de ranger mes dossiers quand quelqu’un fit glisser un mot sous la porte. Je me redressai rapidement, m’approchant sans un bruit. Je posai la main sur la poignée et ouvris violement la porte. Personne. J’avançai dans le couloir, observant à droite, puis à gauche… Qui que ce fut, il s’était envolé. Je fis demi-tour, me penchant pour ramasser la petite feuille pliée en deux.

« Lorsqu’un objet disparaît, ne n’est pas forcément qu’il n’est plus là. Peut-être qu’on ne le voit plus ou que l’on ne sait plus regarder… »

“Encore un jeu de piste… Ils veulent vraiment me faire tourner en bourrique.’’, maugréai-je en relisant ce bout de papier.

Je ne risquai pas d’en reconnaître l’écriture étant donné qu’il avait été tapé à l’ordinateur. Je le retournai plusieurs fois, à la recherche du moindre indice. Quelque chose avait disparu autour de moi, du moins, c’était ce que je pensais, mais en réalité, cet objet était toujours là. Pouvait-il s’agir d’une personne ? Dans ce cas, j’avais l’embarras du choix… Maman, Tommy, mon Oncle, Faith, le Major Charles… J’en avais pour la nuit à tous les citer. Avec la chance que j’avais, ce mot avait été écrit par Jarod, juste pour m’agacer un peu plus encore. Non, je disais n’importe quoi, un mystère se tramait ici et j’avais la sensation qu’il ne serait pas là pour me faciliter la tâche –ou la vie. J’enfournai le papier dans ma poche, prenant la direction de l’ascenseur.

***

“Je n’en ai aucune idée, il n’y avait plus personne quand j’ai ouvert la porte.’’, répondis-je à Jarod, retirant la mèche de cheveux qui me barrait le visage.

“Je ne vois pas à qui cette phrase peut faire allusion, elle peut se rapporter à beaucoup de monde.’’, reconnut-t-il d’un air pensif. “Je vais y réfléchir avec l’aide de Sydney et de Broots, ils viennent d’arriver.’’, m’annonça-t-il de façon plus gaie.

“Déjà ?’’, m’étonnai-je en jetant un œil à ma montre. “Dis-leur plutôt de ramener leur postérieur illico dans mon bureau.’’, lui conseillai-je en souriant, le vent mêlé d’embruns me fouettant le visage.

Je m’appuyai à la rambarde, tournant le dos à la mer et observant les différents bâtiments du Centre qui me surplombaient. Les rafales faisaient voler mes cheveux dans toutes les directions, me brouillant bien souvent la vue. Je levai la tête, voyant que le ciel s’assombrissait dangereusement au dessus de moi, menaçant à tout moment de se déchirer dans un orage d’éclairs. Derrière moi, j’entendais les vagues éclater contre la jetée, se brisant les unes après les autres. Elles se rabattaient sans cesse, comme déterminer à faire céder ce mur, s’obstinant sans résultat. L’océan paraissait déborder de colère, gonflé par les rafales il se déchaînant sous mes yeux, comme prêt à jaillir, à exploser dans une violence dont seuls quelques marins avaient déjà fait l’expérience.

Le rire de Jarod me ramena à la réalité, je perçus alors ceux de Sydney et de Broots derrière la voix de mon Caméléon. Je souris, heureuse d’entendre un son si doux.

“Je ne plaisantais pas, s’ils ne veulent pas perdre leur tête, ils feraient mieux de se dépêcher.’’, me défendis-je, faussement énervée.

“Je le leur dirai. Et toi ? Tes retrouvailles avec ton adorable frère jumeau ?’’, questionna-t-il en redevenant sérieux.

“Oh, très… Chaleureuses.’’, ironisai-je, pivotant de nouveau vers l’océan. “Je leur ai dit à lui et à Raines que Sydney, Broots et moi avions dû aider un ami. Ils n’ont pas osé m’agacer en m’interrogeant plus longtemps.’’, lui expliquai-je en soupirant, trouvant le sujet sans intérêt.

“Bien, et les rouleaux, qu’est-ce que tu comptes en faire ?’’, s’inquiéta-t-il tout à coup en réalisant que je ne les avais toujours pas évoqués.

“Pour l’instant ils restent dans mon coffre fort. Je rentrerai tard, disons… Vers vingt-deux ou vingt-trois heures.’’, l’informai-je, voyant que la soirée commençait déjà.

“Tu es sûre que tu m’as tout dit Parker ?’’, demanda Jarod, soucieux.

“Oui pourquoi ?’’ répondis-je en lui mentant effrontément.

“Non, pour rien, j’ai une sorte de pressentiment.’’, se justifia-t-il, presque gêné.

“C’est moi qui ai ce genre de don habituellement…’’, lui fis-je remarquer. “Tout va parfaitement bien, ne t’inquiète pas, il faut juste que je mette les choses en place. Je suis sûre que tout rentrera vite dans l’ordre.’’, lui assurai-je avant de raccrocher.

Je ne préférais pas révéler mes intentions pour le moment, je voulais d’abord en apprendre davantage. Pour cela, je devais attendre Broots, lui et ses ordinateurs m’aideraient bien mieux que mes voix cette fois-ci. Je le sentais au fond de moi.

***

“Les caméras de votre couloir ?’’, questionna Broots en s’installant devant son écran.

“Oui, pas celles du supermarché du coin idiot !’’, m’exclamai-je, excédée de son imbécillité constante.

“Il était quelle heure quand vous avez trouvé ce mot ?’’, se renseigna-t-il afin de préciser ses recherches.

“Je ne sais pas… Environ 18h30.’’, évaluai-je en m’asseyant à ses cotés.

Sydney se tenait devant nous, appuyé contre le mur et la main soutenant son menton comme il le faisait souvent. Il semblait plongé dans ses pensées, il réfléchissait certainement à cette phrase étrange que l’on m’avait faite parvenir. Je me levai et allai m’adosser à la sombre et froide paroi, juste à coté de lui. Je baissai la tête en soupirant, tout ceci me paraissait si compliqué. A chaque fois que l’on pensait toucher le but, c’était comme s’il s’éloignait encore et encore. Nous ne pouvions rien y faire, le mystère s’épaississait à vue d’œil et les réponses nous échappaient inexorablement.

“Vous auriez une idée quant à l’idée de cette personne ?’’, lui demandai-je d’un ton las.

“Il est bien probable que celui ou celle qui a déposé ce mot sous votre porte soit également le sujet de cette phrase.’’, présuma Sydney.

“Je le pense aussi.’’, acquiesçai-je en hochant la tête. “Alors Broots, vous trouvez ?’’, m’impatientai-je alors, comptant sur ces caméras pour nous faire progresser.

“Euh… Presque…’’, fit-il, plissant les yeux pour ne pas manquer notre suspect sur la bande qu’il faisait défiler à toute vitesse. “Ca y est ! Je l’ai !’’, s’écria-t-il avec fierté. “On ne voit pas son visage…’’, se ravisa-t-il, déçu, lorsque j’approchai.

“Faites ce que vous pouvez, cherchez un reflet, une marque sur ses vêtements… N’importe quoi mais trouvez quelque chose !’’, le suppliai-je presque, exaspérée par cette absence de résultat.

J’étais énervée, enragée, furieuse… Il n’y avait pas de mot pour décrire ce que je ressentais. Oh si, il yen avait un : le remord. Comment avais-je pu continuer à vivre normalement pendant un an sans même rechercher cet enfant ? Bien sûr, tout s’était enchaîné, mes découvertes sur Lyle, la tombe vide de ma mère, Ethan, les rouleaux… Mais cela n’excusait en rien le fait d’oublier un membre de sa famille. Il était jeune, innocent, sans défense et Raines ou Mr Parker étaient loin d’être affectueux avec leur descendance.

“Ce n’est pas de votre faute Mlle Parker.’’, assura Sydney, devinant exactement ce à quoi je pensais.

Je lui adressai un petit sourire peu convaincu, juste histoire de faire bonne figure. Il ne me croyait pas, évidemment. Je me retournai alors vers Broots qui tentait désespérément de trouver le moindre indice utilisable. Il tapait à toute vitesse sur son clavier comme si sa vie dépendait de la rapidité et de la dextérité de ses doigts sur les touches. Ses yeux étaient rivés sur l’écran et ne s’en détachaient que très rarement : pour cligner des paupières.

“Je crois que j’ai quelque chose…’’, murmura-t-il, toujours concentré.

“Quoi ?’’, fis-je en me penchant au dessus de son épaule.

“Là, regardez.’’, dit-il en indiquant la main de l’intrus au moment où il glissait la feuille sous la porte. “Je crois qu’il porte une alliance. Ca peut aider, non ?’’, supposa-t-il en haussant les épaules d’un air penaud.

“Possible…’’, soupirai-je, découragée.

“Attendez, on sait qu’il fait environ 1m90 et qu’il est marié. S’il est entré au Centre, c’est qu’il y est employé. Je vais aller voir Jackie, vous savez, la secrétaire au rez de chaussée qui a un bec de lièvre. Je comprends jamais rien de ce qu’elle dit d’ailleurs…’’, avoua-t-il en fronçant les sourcils.

“Broots…’’, grognai-je, plus menaçante que jamais.

“Oui, euh, je vais voir si elle a une idée de qui est notre homme. Elle connaît tous les potins alors elle doit savoir qui est marié et qui ne l’est pas !’’, lança-t-il en fermant déjà la porte derrière lui.

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1) : “La souffrance changera tes pensées et la mort te fera changer tes choix.’’
2) : “La tristesse sera l’unique sentiment que tu éprouveras’’
3) : “C’est pourquoi je rendrai ta vie insupportable, ainsi que celle de tes descendants.’’
4) : “Je ne peux pas croire que mon propre frère ai volé le cœur de ma femme Catherine.’’
5) : “Pour ça, il devra payer. Abel Parker mérite le respect et va montrer ce qui arrive lorsque quelqu’un, même toi Caïn, essaie de le tromper.’’
6) : “Ma vengeance sera pire que tout ce que tu peux imaginer. Tes descendant devront payer le prix de la trahison.’’
7) : “Chacun de tes descendants seront des hommes habités par le mal.’’
8) : “Le Centre verra le jour, l’Elue sera trouvée, un garçon nommé Jarod la fera renaître.’’

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A suivre...









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